Vivian Maier est la photographe la plus célèbre au monde, parce qu’au-delà de son talent et son incroyable histoire, elle est celle que vous voulez qu’elle soit. Vivian, c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde, et personne à la fois.
Temps de lecture : 30 min
Introduction : Les gens qui la fascinaient tant
À peu de choses près, la vie se terminait comme elle l’avait imaginée. À l’écart du monde, soulagée.
Le problème c’était les autres.
Ils avaient toujours des tas de besoins à combler, des attentes impossibles à satisfaire. Les autres n’apportaient jamais de confort. Ils pouvaient bousiller sa tranquillité en un instant.
Elle était partagée entre le désir intense d’entrer en relation avec eux et la crainte d’être submergée par les émotions.
Les émotions, c’était vraiment ça le problème.
La vie était passée sans qu’elle n’ait pu avoir le moindre contrôle, sans qu’elle n’ait pu changer quoi que ce soit. Elle avait regardé sa propre existence se dérouler devant elle, impuissante.
Les autres la décrivaient comme froide, distante, indifférente.
Elle ressemblait à un morceau de glace alors qu’un feu brûlait à l’intérieur.
Elle avait eu des amitiés, rares mais sincères. Des personnes comme elle qui ne s’épanchaient jamais.
C’était ça. Ou c’était rien.
Les relations amoureuses étaient impossibles. L’idée même que quelqu’un s’approche lui paraissait inenvisageable. Elle se serait sentie prise au piège, pétrifiée par le trop-plein.
Alors elle inventait. Dans sa tête, elle pouvait tout contrôler. Les histoires qu’elle élaborait remplaçaient à merveille les relations réelles.
Sa discrétion masquait une vie imaginaire intense. Dans son esprit se bousculaient des pensées libres et non censurées. Elle était attirée par les faits divers sordides, les crimes de toutes sortes, les guerres, les injustices, les vices de l’humanité.
Elle ne sait plus trop pourquoi elle a commencé à conserver ces trucs, des factures, des notes écrites, et tous ces journaux. Au début, elle se disait que ça pourrait « servir plus tard ». Et ça s’est accumulé de manière prodigieuse, c’est vrai. Sans qu’elle ne s’en rende compte.
C’était compulsif. C’était rassurant.
D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours eu son propre mode de pensée, ses propres convictions, des croyances qui n’appartenaient qu’à elle.
Ce n’était pas de la défiance. Elle ne ressentait juste pas le besoin de se conformer aux normes.
Elle avait l’air excentrique. Elle se sentait inauthentique.
Elle marchait en balançant les jambes et les bras comme un automate géant. Du haut de son mètre soixante-treize, elle dépassait la plupart des femmes mais aussi beaucoup d’hommes. Son look détonnait. Tout droit sorti des années 1940. Le vintage avant le vintage.
Un chapeau en feutre de chez le plus grand chapelier de la ville. Un manteau en laine oversize. Une chemise à fleurs et une jupe mi-mollet. Des chaussures Balenciaga achetées chez les gars. Et une barrette pour tenir sa mèche.
Tout accentuait le trouble. Tout soulignait l’ambiguïté. Les autres ne lui posaient plus de questions.
Lorsqu’elle se baladait dans les rues avec son Rolleiflex, de manière surprenante elle se prenait à échanger avec les gens. Elle jouait un rôle. Elle ne donnait rien. Elle ne perdait rien. Les émotions restaient à l’abri dans son monde intérieur.
Elle avait l’impression de voir des choses que les autres ne pouvaient pas. Elle était capable d’une endurance folle lorsqu’il s’agissait de photographie. Elle faisait des photos différentes parce qu’elle était différente.
Elle n’avait rien fait pour avoir la moindre reconnaissance. Elle gardait ses photos pour elle. Les autres ne devaient pas s’approprier ses pensées. Les autres ne devaient pas s’immiscer dans son monde. Elle ne pouvait pas les laisser entrer. Ses photos étaient une partie d’elle-même.
Elle s’était sentie de plus en plus étrangère au monde qui l’entourait.
Elle s’était demandée si elle était normale.
Elle n’était pas désabusée jusqu’à ce qu’elle le devienne.
Elle avait arrêté de photographier.
L’article s’accompagne d’une playlist. Des hauts et des bas, des troubles et des colères, chantés par des femmes :
Vivian Maier, super seule, superstar
Dans les années 1990, Vivian Maier a pris une photo sans savoir que ce serait la dernière. Une activité remplit une vie et un beau jour cesse sans préavis. Elle aura accumulé près de 150 000 clichés sur quatre décennies. Une pellicule par jour. C’est fou.
Une histoire de bancs
Chicago, secteur de Rogers Park, le 25 novembre 2008.
C’est Vivian Maier la vieille dame habillée en une version négligée d’elle-même. Un long manteau informe. Un chapeau de feutre mou usé par les saisons. Et des chaussures au cuir élimé.
Depuis qu’elle habite le quartier, elle se rend chaque jour dans le petit parc à 5 min de chez elle. Le lac Michigan fait face à des jeux pour enfants, un peu d’herbe et un banc. Elle s’y assoit et fixe l’eau.
Un banc de poissons éveille son intérêt. Des couleurs vives, du bleu et du vert sur le dos, du jaune orangé sur les flancs, avec une pointe de rouge écarlate. Sans doute des perches soleil.
Vivian observe leurs déplacements fantastiquement unis.
Ces poissons produisent une forme d’organisation dans laquelle le contrôle n’est pas centralisé, mais réparti dans l’ensemble du groupe. Il existe des systèmes auto-organisés un peu partout, pour peu que l’on soit attentif, pense-t-elle, en ouvrant une boîte de conserve.
Après avoir mangé le corned-beef froid à même la boîte, elle se lève et poursuit son parcours. Ce n’est plus la marche créative d’avant, plutôt une non-activité qui ressemble à l’ennui. À 82 ans, comme la plupart des personnes âgées, elle s’est lassée du monde.
On a beau savoir que l’on finira dépressif à partir d’un certain âge et qu’il n’y a rien à faire, il est difficile de l’accepter quand ça arrive. Les capacités des humains diminuent plus vite que le niveau d’exigence à leur propre vie.
Pourtant, Vivian n’a jamais réellement envisagé le suicide. Il n’a été au plus qu’un bruit de fond à peine perceptible.
Sur le retour, elle glisse sur une plaque de verglas et, en tombant, sa tête heurte le trottoir. L’ambulance arrive, sous le regard des voisins, soucieux à l’idée de perdre un élément du décor. Une silhouette familière du quartier que l’on côtoie sans jamais vraiment la rencontrer.
Tenter l’expérience de l’hôpital à un âge avancé c’est prendre le risque de ne jamais rentrer chez soi.
Vivian ne se remettra jamais vraiment de sa chute.
Elle meurt cinq mois plus tard, le 21 avril 2009.
Un certain John Maloof
Chicago, secteur de Portage Park, mai 2009.
Depuis plusieurs mois, à intervalles réguliers, un même type tape les mêmes mots sur son moteur de recherches préféré.
Derrière le clavier, un agent immobilier de 28 ans.
Un certain John Maloof.
Deux ans plus tôt, il s’est lancé dans l’écriture d’un livre pour mettre en lumière le quartier qu’il habite. À la recherche d’illustrations, il s’est rendu un peu par hasard à une vente aux enchères.
Il est tombé sur un lot de 30 000 négatifs représentant Chicago dans les années 1960. Il a tenté le coup pour 400 dollars. À l’intérieur, rien sur son quartier. Alors, il a rangé la boîte dans un placard.
Faut dire qu’il s’y connaît vachement moins en art qu’en vente d’apparts. Malgré tout, certaines images l’ont marqué, si bien qu’un an plus tard, il s’est mis à numériser des négatifs et a publié certaines photos sur son blog.
Retour en mai 2009.
John a de la chance. Sa recherche google renvoie un résultat, un avis de décès publié quelques jours plus tôt :
« Vivian Maier, originaire de France et fière de l’être, vivant à Chicago depuis 50 ans, est morte paisiblement ce lundi.
Seconde mère de John, Lane et Matthew.
Un esprit libre et éclairé qui a marqué comme par magie tous ceux qui l’ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis ou un coup de main.
Critique de cinéma et photographe extraordinaire.
Une personnalité vraiment spéciale, qui nous manquera beaucoup mais dont la longue et merveilleuse vie restera pour toujours dans nos mémoires. »
Chicago Tribune, le 23 avril 2009. L’avis d’obsèque est visible ici dans son habitat naturel.
Flickr, du temps où c’était utile
Six mois plus tard, John se demande ce qu’il doit faire de Vivian Maier.
Il s’épanche dans ce groupe Flickr dédié à la street photography : quelqu’un peut-il me dire si ce travail est digne d’être exposé ou si c’est quelque chose d’assez ordinaire ?
Illico, il casse Internet.
Du monde entier, des milliers de personnes s’emballent. Parmi lesquelles Allan Sekula, un théoricien de l’art qui alerte sur l’importance de l’œuvre.
John va dès lors déployer une énergie considérable pour faire connaître l’artiste.
La machine à inventer Vivian Maier est en marche.
À la recherche de Vivian Maier
John retrouve les acquéreurs de la vente aux enchères de 2007 et rachète 90% des archives de Vivian Maier. Un autre collectionneur, Jeff Goldstein, récupère le reste.
Les grands photographes à l’instar de Joel Meyerowitz (allez lire mon article) s’enthousiasment. Le Musée d’Art Moderne de New York et la Tate Modern de Londres, beaucoup moins. Ils crient à « l’artiste inventée de toutes pièces. »
Tant pis, il fera sans.
Il trie les négatifs et fait réaliser des tirages de qualité. En janvier 2011, une première exposition est organisée au centre culturel de Chicago.
Énorme succès publique.
Euphorique, il publie en décembre un premier livre qui regroupe une sélection de photos de rue en noir et blanc : Vivian Maier: Street photographer.
Intenable, il produit un documentaire dans lequel il se met en scène et raconte l’incroyable histoire. À la recherche de Vivian Maier sera nommé aux Oscars en 2015.
La vie de Vivian Maier débute le 1er février 1926.
Elle naît dans une famille dysfonctionnelle, dont les origines éclairent ce qu’elle deviendra.
Aux origines de Vivian Maier (1901-1926)
Bien avant que Vivian arrive, les parents forment un couple dévoré par les discordes. Bizarrement, les problèmes ne s’effacent pas une fois l’arrivée de l’enfant.
La mythomanie et le narcissisme de la mère, Marie Jaussaud.
L’alcoolisme et la violence du père, Charles Maier.
Du côté de la mère, Marie Jaussaud
Saint-Julien-en-Champsaur, Hautes-Alpes, juin 1914.
Marie Jaussaud, une jeune femme de 17 ans, s’apprête à quitter son petit village natal. Le plan est simple : retrouver sa mère Eugénie qui s’est installée à New York quelques années plus tôt.
Pour être franc, il s’agit plutôt de faire sa connaissance. Ado, sa mère a eu une histoire d’un soir avec un garçon de ferme, un certain Nicolas Baille. Ce dernier a refusé de reconnaître l’enfant. À l’époque, une fille-mère était pire qu’une mère adolescente aujourd’hui.
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Eugénie a donc confié sa fille âgée de 3 ans à sa propre soeur, Maria-Florentine, avant de quitter la ferme familiale direction l’Amérique. Ce type de départ vers le « nouveau monde » était assez courant à l’époque.
Très vite, Eugénie s’est adaptée. Elle est devenue cuisinière chez de riches familles américaines, fans de sa cuisine française et de sa personnalité, réfléchie et discrète.
Retour en juin 1914.
Marie Jaussaud débarque à New York. Il est convenu qu’elle travaille comme couturière au sein de la famille pour laquelle sa mère cuisine.
Les choses ne se passent pas comme prévu. Elle refuse, au grand désespoir de sa mère.
La jeune femme a d’autres projets. La vie new-yorkaise la tente.
Maquillée et bien habillée, c’est parti pour l’aventure.
Ciao la couture.
Du côté du père, Charles Maier
Assez rapidement, Marie tombe sur un gars.
Elle a dû vite s’enflammer puisqu’en 1915, un an après son arrivée, une petite annonce paraît dans le New York Herald Tribune : une jeune française, mademoiselle Jaussaud, recherche un poste de femme de chambre. L’adresse indiquée est celle d’un certain Charles Maier.
C’est qui ?
Charles est également un enfant d’immigrés. La famille Maier est venue à New York en 1905 en provenance de Modor, un village de l’empire austro-hongrois, aujourd’hui situé en Slovaquie.
Les parents se sont installés avec leurs enfants, dont Charles âgé de 13 ans. L’ado est bon élève puisqu’à la fin de sa scolarité il décroche un diplôme d’ingénieur. Lorsqu’il rencontre Marie Jaussaud, il bosse dans une biscuiterie.
L’histoire entre les deux se concrétise par un mariage prononcé le 11 mai 1919 à l’église luthérienne de St Peter. C’est loin d’être la grosse ambiance. Les seuls témoins sont l’épouse du pasteur et le concierge de l’église. Les deux familles n’ont pas l’air emballé par cette union.
Au moment de la signature du registre, Marie déclare un père de fiction en indiquant Nicolas Jaussaud, et prête à sa mère Eugénie un autre nom de famille, celui d’une grand-mère maternelle, Pellegrin.
Ce sont les premiers mensonges d’une longue série.
Le mariage désastreux des parents de Vivian Maier
Assez rapidement, le mariage prend l’eau. Charles reproche à son épouse de ne pas être la femme d’intérieur qu’il imaginait. Marie reproche à son époux d’être un enfant gâté qui tape un peu trop dans la gourde.
Dans cette ambiance bon enfant naît Carl, le 3 mars 1920.
À la maison c’est la fête. Les portes claquent. Le père commence à jouer l’argent de la famille aux courses. Il devient violent après trois verres de whisky. L’appartement est de plus en plus crado.
Les parents ont dû y aller fort puisque les services sociaux leur enlèvent la garde du garçon. Il y a un siècle, les enfants étaient infiniment moins protégés qu’aujourd’hui.
Le petit Carl va faire le yoyo entre un foyer de protection pour enfants et l’appartement des grands-parents paternels.
Le couple se sépare et se réconcilie plusieurs fois. Au bord du gouffre, il attend son second enfant qui arrive le 1er février 1926. Le père n’est pas là.
Bienvenue au monde, Vivian.
La photographie au début du 20ème siècle
À côté de la saga familiale Maier se joue l’histoire de la photographie.
La démocratisation du médium s’est enclenchée avec le lancement en 1900 de nouveaux appareils simple d’utilisation comme le Brownie de Kodak.
L’appareil en carton coûte un dollar (soit 31 dollars aujourd’hui) et cible clairement les jeunes femmes.
Désormais, la photographie n’est plus réservée à de riches amateurs. Ces derniers, principalement issus de la bourgeoisie, n’ont aucun intérêt à ce que les pauvres fassent les mêmes photos qu’eux, en appuyant sur un simple bouton.
L’idée émerge que la photographie ne devrait pas servir à retranscrire fidèlement la réalité. Elle pourrait s’en écarter pour laisser place à l’interprétation et à l’imagination du photographe.
Ainsi naît le pictorialisme au début des années 1900, en réaction à l’arrivée des appareils bon marché.
Cette photo de 1904 d’Edward Steichen en est un bon exemple.
Les techniques utilisées sont caractéristiques du pictorialisme :
- Le contre-jour plonge dans l’ombre les passants et les arbres du premier plan.
- Le cadrage coupe volontairement le sommet de l’immeuble.
- La brume floute la scène. L’image se transforme ainsi en une peinture impressionniste. Ce n’est pas anodin, l’idée est que la photographie pourrait rivaliser avec la peinture et se hisser au rang des beaux-arts.
Le mimétisme avec cette toile de 1875 signée James Whistler est flagrant.
L’enfance cabossée de Vivian Maier (1926-1943)
Retour chez les Maier. Pour ceux qui seraient un peu perdus, voici un petit arbre généalogique des familles :
Un an après la naissance de Vivian, les parents se séparent pour de bon.
La mère, sans ressources et sans toit, demande l’aide à sa propre mère. Eugénie se décarcasse pour trouver une solution. Elle sollicite Jeanne Bertrand, une amie française également originaire des Hautes-Alpes.
Jeanne Bertrand, l’initiatrice
C’est qui, Jeanne Bertrand ?
Arrivée ado aux États-Unis, elle se fait embaucher dans un petit studio photo en 1897, à l’âge de 17 ans. Elle apprend le métier et devient une excellente portraitiste.
À tel point que le 23 août 1902, elle squatte la une du Boston Globe, le plus grand journal de la ville, avec un long article élogieux sur son jeune talent de photographe.
Proche du milieu artistique new-yorkais, elle écrit dans des revues d’art puis devient une sculptrice émérite. Sa vie est un roman, entrecoupée d’immenses réussites, d’un amour qui finit mal, de dépressions et de crises de démence.
Lorsqu’en 1930, Jeanne accueille Marie et sa fille, elle initie la mère à la photographie. Du haut de ses 4 ans, la petite Vivian baigne dans l’ambiance.
Toutes les trois vivent sous le même toit dans le Bronx. Le quartier n’est pas le ghetto noir qu’il deviendra quelques décennies plus tard. Il abrite surtout des immigrés d’Europe qui prennent de plein fouet le krach boursier d’octobre 1929.
L’économie s’est arrêtée net. Et depuis, les entreprises tombent comme des dominos. Un quart des gens perdent leur boulot. Tout le monde déprime.
Parmi eux, la mère de Vivian. Sans qualification, elle commence à avoir le front qui perle. Quitte à être pauvre, autant l’être ailleurs. Elle retourne en France en 1932, accompagnée d’une fille de 6 ans et d’une valise, dans laquelle elle glisse un Kodak Brownie.
Elle laisse un fils qu’elle a abandonné, un ex-mari qu’elle a quitté et une mère dont elle dépend.
L’enfance française de Vivian Maier
Marie et sa fille s’installent dans la maison familiale de Beauregard que possède Maria-Florentine, la soeur de la grand-mère. Souvenez-vous, c’est elle qui a élevé Marie jusqu’à son départ pour les États-Unis.
Le vert des Alpes remplace le gris du Bronx. Vivian profite du grand air et vit sa meilleure vie. Très vite, elle apprend le français à l’école. Les autres élèves découvrent une petite fille énergique, un peu garçon manqué, sociable mais timide.
L’année suivante, Vivian est immortalisée aux côtés de sa mère et d’un petit cousin.
À part ça, c’est pas la joie pour Marie. Elle ne se fait pas à sa nouvelle vie. Une fille des villes dans la peau d’une fille des champs. Ajouté à cela qu’avec sa tante, les relations se tendent.
L’année suivante, c’est même la rupture. Marie quitte sa maison natale et s’installe dans un village à six kilomètres.
Pire que ça, il survient un événement que l’on découvrira plus tard. La soeur de la grand-mère, Maria-Florentine, célibataire et sans enfants, modifie son testament et déshérite Marie au profit de Vivian.
Pendant ce temps, la vie tourmentée du frangin
De l’autre côté de l’Atlantique, le père a la belle vie. Il s’est remarié avec une petite jeune, Berta Ruther, une allemande qui habille les artistes du Met, la fameuse salle d’opéra de New York.
Pour le frangin par contre, c’est pas l’extase. Il a le starter pack de l’ado qui va droit dans le mur. Combo insolence + fugue + drogue.
Il transforme l’essai en trafiquant des chèques. Sanction : 3 ans dans un centre éducatif.
Les grand-mères semblent être les seules à s’en inquiéter. Elles écrivent aux parents pour les alerter de la situation désespérée.
Pas de réponse de leur part. En d’autres termes, osef de Carl.
Son cas s’envenime. Alors qu’il rêve sa vie en Californie, il est interpellé pour une raison inconnue. Incarcéré un temps dans la sinistre prison des Tombs à New York, il est renvoyé à la case départ, dans le centre éducatif.
Là-bas, il se découvre une passion pour la musique en apprenant à jouer de la guitare.
Il est même question de sortie en 1938. Un obstacle s’oppose toutefois à cette libération conditionnelle : son père refuse de le prendre en charge. Ce dernier écrit à son ex-femme et lui demande de rentrer pour s’occuper de son fils de 18 ans.
Par remord ou par ennui, Marie décide de revenir aux États-Unis.
Berenice Abbott, le modèle
À côté de la saga familiale Maier se poursuit l’histoire de la photographie.
Dans les années 1920, la France connaît une effervescence créative qui attire les artistes parmi les futurs plus grands génies du siècle.
Paris fait office de centre du monde, où se croisent et se saoulent Salvador Dalí, Coco Chanel, Ernest Hemingway, Joséphine Baker et beaucoup d’autres.
Paris, Man Ray et Atget
La scène se déroule en 1921 dans un café près de la gare Montparnasse.
Berenice Abbott, une américaine de 23 ans, a débarqué à Paris pour étudier la sculpture et trouver un sens à sa vie. Face à elle, une vieille connaissance new-yorkaise cherche l’inspiration dans la capitale, le photographe Man Ray, tout juste trentenaire.
Berenice dégage une ambiguïté qui s’exprime par son look androgyne, son teint de porcelaine et ses yeux bleu glacier. Sa coupe garçonne est un signe de radicalité, sans équivalent pour une femme aujourd’hui, si ce n’est peut-être se raser la tête.
Très vite, elle délaisse la sculpture pour la photographie en devenant l’assistante de Man Ray. Ce dernier l’encourage à passer à la prise de vue. Dans son atelier, elle découvre le travail du photographe français Eugène Atget. Elle en tombe amoureuse.
Les images lui procurent un sentiment d’étrangeté voire d’inquiétude, comme cette vitrine qui renferme des mannequins presque plus vivants que certains humains.
Il n’est pas utile d’ajouter des artifices pour que la photographie exprime le mystère, se dit Berenice. Le réel peut se suffire à lui-même.
Atget meurt en 1927. Il devient pour certains un symbole de la modernité, une sorte de prophète au service d’une nouvelle vision de la photographie.
Berenice fait partie des voix qui s’élèvent contre le pictorialisme et le flou artistique. Après le décès du photographe, elle achète une partie de ses archives et va façonner un Atget compatible avec sa propre philosophie de la photographie.
Changing New York
Au début de l’année 1929, Berenice est à New York pour promouvoir le travail d’Atget.
Que la ville a changé en 10 ans !
Des gratte-ciel côtoient les petits immeubles d’avant. Des ponts flambant neufs contrastent avec les vestiges du passé, comme ces usines en arrière-plan.
C’est le déclic pour Berenice.
À la façon d’Atget à Paris, elle veut photographier New York en train de se transformer en une métropole moderne.
Elle n’est pas en extase devant tous les changements de la ville. Il y a du beau, il y a du laid. Photographié en contre-plongée hardcore, ce gratte-ciel en devient effrayant.
À travers la ville, Berenice parle des humains :
« Tu photographies les gens quand tu photographies la ville. Tu n’as pas besoin d’inclure une personne. »
Documentaire : Berenice Abbott: A View of the 20th Century (à 40min53)
Derrière ses images, il y a clairement une critique sociologique. Les gens subissent leur environnement et en même temps, ils en sont collectivement responsables.
C’est une idée dans l’air du temps.
Dans le roman Les raisins de la colère qui se passe pendant la crise économique des années 1930, John Steinbeck écrit :
« Il se trouve que chaque homme dans une banque hait ce que la banque fait, et cependant la banque le fait. La banque est plus que les hommes, je vous le dis. C’est le monstre. C’est les hommes qui l’ont créé, mais ils sont incapables de le diriger. »
John Steinbeck – Les raisins de la colère – 1939
Berenice documente les symboles de la modernité comme cet automate de la chaîne Horn et Hardart, précurseur des fast-foods.
Toutes ces images, prises à la chambre grand format, vont constituer le projet Changing New York, exposé au Musée d’Art Moderne de New York (le MoMA) en 1937 et publié deux ans plus tard.
La dure cohabitation avec la mère
Le Havre, France, 1er août 1938.
Le paquebot Normandie embarque Vivian, 12 ans, et sa mère, Marie.
Arrivées à New York, elles logent quelque temps à l’hôtel, puis se fixent dans un appartement suffisamment grand pour que Carl ait sa propre chambre.
Le jeune homme de 18 ans déboule en octobre.
L’ambiance frisquette des premiers jours laisse place à des tensions entre la mère et le fiston. Marie lui reproche de mal lui parler tandis que Carl juge sa mère complètement folle, incapable d’élever des enfants.
Régulièrement, l’administration passe voir si tout est ok. Au fil des mois, les fonctionnaires abondent dans le sens du fils au sujet de l’état mental de la mère.
Un beau jour, Carl se casse.
Vivian, livrée à elle-même, réapprend l’anglais en allant au cinéma et en lisant des magazines.
Vivian subit les humeurs de sa mère. Une nouvelle fois, Marie travestit sa vie. Lors du recensement de 1940, elle déclare habiter avec un mari et deux enfants, dont un fils de 10 ans.
En 1943, Maria-Florentine, la soeur de la grand-mère de Vivian, meurt. Comme convenu, elle lègue son domaine à Vivian. Folle de rage, sa mère quitte l’appartement et abandonne sa fille.
À 17 ans, Vivian est envoyée dans le Queens vivre chez une amie de sa grand-mère.
Au début des années 1950, Vivian reviendra photographier l’appartement où elle a habité avec sa mère et son frère.
Les années d’apprentissage de Vivian Maier (1943-1956)
Vivian n’a pas d’autres choix que de chercher un boulot.
Ça tombe bien, depuis le début du siècle, les femmes ont accès au marché de l’emploi. Bon, uniquement si elles font à peu près les mêmes tâches qu’à la maison.
Vivian commence par vendre des babioles dans une boutique, puis fabrique des fringues dans un local de type atelier de misère. Difficile de faire plus insupportable.
Le job suivant a l’air un peu moins douloureux. Au sein de la manufacture Madame Alexander Dolls, elle confectionne des poupées haut de gamme.
Avec les premiers salaires, Vivian s’offre un appareil photo. Comme tout le monde, elle opte pour un Kodak Brownie.
Dans ces années-là, lorsque la passion naissait, il était difficile d’apprendre les bases dans des tutos youtube. Et les livres de type guide étaient rares.
Berenice Abbott a été l’une des seules à en écrire un. A guide to better photography sort en 1941. Elle y donne des conseils techniques tout en exprimant sa vision de la photographie, étonnamment moderne.
Berenice Abbott’s Guide
Voici les conseils que Vivian a pu appliquer :
Choisir le matos
Abbott déconseille les appareils sans possibilité de régler la mise au point. Typiquement les Kodak Brownie avec lesquels le sujet doit forcément se trouver entre 3 et 5 mètres pour obtenir une photo nette.
Pour la rue et les enfants, elle recommande le Rolleiflex.
Développer ses images
Abbott milite pour que les photographes prennent conscience de l’importance du tirage :
« Comme tout travail de création, qu’il s’agisse d’un roman, d’une sculpture ou d’une pièce de théâtre, le tout doit être bon.
De même, chaque partie doit se suffire à elle-même.
Pour qu’au final, toutes les parties forment un tout cohérent.
En photographie, le tout est le tirage final. »
A guide to better photography, page 44
Et qu’ils devraient tirer eux-mêmes :
« La nécessité pour tout photographe sérieux est d’être son propre artisan. »
A guide to better photography, page 45
Connaître le passé
Abbott suggère de connaître ceux qui nous ont précédés :
« Trop de photographes agissent comme si la photographie n’avait ni passé ni future.
C’est aussi illogique que des écrivains qui ignoreraient tout ce qui a été écrit depuis 1000 ans. »
A guide to better photography, page 5
Documenter l’époque
Pour Abbott, « toute photographie est documentaire ou ce n’est pas vraiment de la photographie. » La photographie est « par excellence le médium de notre temps. » (p6)
Pour autant, il ne s’agit pas de recopier le réel :
« Tous les sujets sont ouverts à interprétation. Ils nécessitent l’objectivité imaginative et intelligente de la personne derrière l’appareil. »
A guide to better photography, page 7
Profiter
J’ai retenu une dernière citation issue du guide :
« Le seul plaisir que vous pouvez obtenir en créant quelque chose est le plaisir que vous avez à le faire, pas même le résultat final. »
Que Vivian ait lu ou non ce livre, elle a certainement été marquée par son approche, dans l’air du temps.
Retour en France
L’automne 1948 est marqué par le décès d’Eugénie, la grand-mère de Vivian. Elle laisse une somme équivalente à 10 000 dollars actuels : un tiers pour Carl, un tiers pour Vivian et un tiers pour Marie.
À 24 ans, Vivian décide de récupérer la maison familiale dont elle a hérité. La jeune femme se rend en France à l’été 1950 pour régler l’affaire. Dans le cadre de sa demande de passeport, elle arrange sa situation famille et indique : parents décédés. Les chiens ne font pas des chats.
Des villages, des pâturages et des montagnes, Vivian est bien arrivée dans les Hautes-Alpes.
Première mission : vendre le domaine.
Les villageois l’attendent de pied ferme, prêts à n’en faire qu’une bouchée.
Et contre toute attente, Vivian se montre avisée.
Elle balaie d’un revers de main les offres fantaisistes et reste inflexible devant les propositions sans garanties solides.
Après plusieurs semaines de négociation, l’opération se conclue chez le notaire le 25 octobre 1950. Vivian empoche une somme équivalente à 50 000 dollars actuels. Pour elle, c’est la fortune.
Elle reprend contact avec sa famille française, notamment son grand-père maternel, Nicolas Baille, le père de Marie, l’amant d’Eugénie. Il vit seul dans une petite ferme entourée de vaches et de chèvres. Du genre reclus, un peu sauvage, avec son fusil jamais très loin.
C’est en France que Vivian commence à photographier sérieusement. Elle fait poser les villageois, surpris. Ici, la photo ne sert qu’à enregistrer les événements familiaux.
Cliquer sur une des photos pour voir la galerie en plein écran.
En avril 1951, elle laisse la vallée et rentre aux États-Unis. L’héritage en poche, elle a tout pour se lancer dans une carrière de photographe.
Le Rolleiflex change tout
En attendant, Vivian cherche un boulot alimentaire. Le travail à la chaîne, plus jamais. Elle choisit d’être nounou, moins par vocation que par absence d’alternative.
Elle passe l’été 1951 à Southampton. Située au bord de l’océan à deux heures de New York, la ville est spécialisée dans les maisons secondaires cossues, à l’image de La Baule ou Deauville en France.
La semaine, Vivian s’occupe d’enfants de riches familles. Le week-end, elle profite de son temps libre. La plage bien sûr. Mais pas seulement.
À côté de belles villas, se cache la réserve indienne Shinnecock, une tribu pauvre autrefois colonisée par les blancs. Elle va à leur rencontre et les photographie.
Les opportunités d’emploi se concentrant à Manhattan, Vivian y emménage.
Dans le quartier, elle rencontre trois soeurs, Sophie, Anna et Beatrice Randazzo. Rapidement, une amitié se développe mais aux conditions de Vivian : seulement lorsqu’elle passe à l’improviste.
Un jour, la mère Randazzo l’accueille en voulant l’embrasser. Mouvement de recul de Vivian qui lui sert la main en retour. #malaise
Fin 1951, Vivian organise une séance photo en haut de l’immeuble des Randazzo. Bien que débutante, elle dirige la séance de portrait comme une pro, sûre d’elle.
Vivian indique à chacun, y compris les parents, où se placer et comment poser.
À la rentrée suivante, Vivian passe d’une longue série d’emplois saisonniers à un emploi à l’année en s’occupant d’une jeune fille nommée Joan.
Elle s’offre un nouvel appareil photo en juillet 1952. Un petit bijou. Un moyen format. Un Rolleiflex.
L’investissement est considérable pour elle, 285 dollars. L’équivalent de 3000 dollars aujourd’hui! Soit le prix d’un moyen format numérique.
Autodidacte, Vivian apprend en lisant des magazines et des livres d’art. Elle rencontre d’autres photographes dans les studios photo de New York. Son rêve d’être photographe professionnelle semble accessible.
Elle squatte aussi les musées. Le 24 janvier 1952, elle tombe sur Salvador Dalí devant le MoMA.
L’expo du moment s’intitule Five French Photographers et présente le travail de Brassaï, Robert Doisneau, Izis, Willy Ronis et Henri Cartier-Bresson dont cette photo :
Difficile d’imaginer que Vivian ait pu passer à côté.
Les photos de Vivian prises à New York montrent qu’elle a été influencée par les photographes de son temps.
Le style sous influences de Vivian Maier
Nous avons vu que Berenice Abbott était l’une des figures marquantes depuis les années 1940. Son travail est exposé au MoMA en juillet 1948 et dans le cadre de la grande exposition The Family of Man en janvier 1955.
Berenice Abbott vs Vivian Maier
Le travail réfléchi de Berenice Abbott contient une étude de la modernité et une foi dans le progrès. Il est probable que Vivian se soit davantage inspirée de ses cadrages que de ses réflexions sous-jacentes.
- 1ère comparaison :
- 2ème comparaison :
- 3ème comparaison :
Les images de Vivian incluent plus d’humains que celles de Berenice Abbott, se rapprochant davantage du travail d’une autre photographe.
Lisette Model vs Vivian Maier
Lisette Model et Berenice Abbott enseignent toutes deux à la New School for Social Research. Elles partagent un intérêt pour la ville.
Abbott se concentre sur les transformations architecturales et Model sur les habitants.
Ses images ressemblent presque à des caricatures : gros plan, plongée ou contre-plongée, cadrage centré.
- 1ère comparaison :
Model est fascinée par tous les gens, qu’ils soient riches ou pauvres, gros ou maigres, comme s’ils partageaient quelque chose de plus profond que leur situation sociale ou leur physique.
Vivian est aussi dotée d’une conscience sociale. De la même façon, elle photographie autant la haute société que les classes populaires comme cette femme en contre-plongée.
- 2ème comparaison : femme riche avec voilette
- 3ème comparaison : homme gros sur un banc
Helen Levitt vs Vivian Maier
En mars 1943, alors que Vivian commence à se passionner pour la photographie, Helen Levitt expose ses photos d’enfants.
Les sujets de Levitt sont la rue, les enfants, la communauté afro-américaine, capturés avec un regard spontané et innocent.
Cette même sensibilité se retrouve dans les images de Vivian.
- 1ère comparaison :
- 2ème comparaison :
En 1955, Vivian photographie les rues de New York depuis plus de 4 ans. À presque 30 ans, Vivian s’apprête à quitter la ville. Ses espoirs de devenir photographe professionnelle se sont amenuisés. Déterminisme social ou personnalité asociale, les hypothèses restent ouvertes.
Elle prend la direction de la Californie comme une dernière chance. Lorsqu’elle arrive sur la côté Ouest, elle est déçue. Son rêve semble inaccessible.
Pour subvenir à ses besoins, elle accepte un job de nourrice auprès d’un groupe de musiciens. Elle garde les enfants quand les parents sont en tournée.
Leur dernier concert se déroule à Chicago, Vivian se retrouve là-bas totalement par hasard.
Chicago (1956-2009)
Le 16 janvier 1956, elle répond à une annonce de M. et Mme Gensburg.
Le job : s’occuper des enfants et cuisiner pour toute la famille.
Le lieu : à Highland Park, un quartier chic au nord de Chicago.
Vivian est embauchée.
Bienvenue chez les Gensburg
Elle débarque dans cette famille aux air de Kennedy. Sur cette photo prise par Vivian, les parents Gensburg (prononcez gainsbourg) posent aux côtés de leurs trois fils, John, Lane et Matthew.
Notez en arrière-plan un portrait de David Lynch. (c’est une blague)
Vivian est bien lotie. Elle dispose d’une grande chambre ainsi qu’une salle de bain privée qu’elle transforme rapidement en petit labo photo.
Elle prend son job au sérieux. Vivian emmène les enfants dans de longues balades dans la forêt au cours desquelles elle leur fait découvrir la nature. Elle leur apprend le français, se rend avec eux au musée et au théâtre.
Elle partage sa passion du cinéma.
L’âge d’or du film noir vient de se terminer avec pour toujours, des chefs d’oeuvre comme Assurance sur la mort de Billy Wilder. (Double Indemnity en vo)
Nulle doute que ce cinéma a marqué Vivian, comme le laissent à penser ces photos.
Le photographe Weegee, qui accède à la reconnaissance artistique en 1943 avec une exposition au MoMA, a aussi dû séduire Vivian.
Parfois, Vivian se balade avec les enfants dans des quartiers chelous, très éloignés de la banlieue chic où ils habitent.
Les enfants adorent.
Les parents moins.
De toute façon, elle n’a jamais été proche des parents. Parfois elle les évite si elle se sent mal à l’aise. Ou bien, elle oriente les conversations ou détourne les questions.
Tour du monde
En 1959, à l’âge de 33 ans, Vivian se lance dans un projet assez fou pour une femme seule à l’époque. Un tour du monde de 6 mois.
En avril, elle annonce aux Gensburg son départ. À sa façon. Cash. Sans précisions ni justifications.
À bord d’un cargo, elle fait escale dans plusieurs villes portuaires d’Asie, puis rejoint l’Afrique et l’Europe. Les quelques 5000 photos prises pendant le voyage permettent de retracer précisément le périple.
Cliquer sur une des photos pour voir la galerie en plein écran.
Le grand tour prend fin en France. Elle repasse par les Alpes pour la troisième et dernière fois. Un petit coucou à ceux qu’elle a connus, enfant. Elle rend aussi visite à son grand-père dans une maison de retraite à Gap. Malade, il mourra deux ans plus tard.
À la fin de l’été, elle est de retour à Chicago pour la rentrée des classes.
Les années se succèdent, les garçons Gensburg grandissent. En 1967, ils n’ont plus besoin de nourrice. Elle les quitte à l’âge de 41 ans.
En onze ans, Vivian a accumulé des tonnes de journaux et d’affaires personnelles, à tel point qu’au moment de son départ, sa chambre est quasiment devenue inaccessible.
Elle restera toujours en contact avec les Gensburg et sera conviée aux événements familiaux de type remises de diplôme et mariages.
Par la suite, Vivian s’occupe d’autres enfants, de personnes âgées et d’un enfant handicapé.
Ses traits de personnalité s’accentuent au fil du temps. Son accumulation excessive, son indifférence envers les normes, sa solitude, et sa nervosité.
Avec les adultes mais aussi avec les enfants qu’elle garde.
Un exemple.
Un jour, elle emmène une fillette dans un abattoir. Le sang et les cris des animaux traumatisent pour longtemps l’enfant.
La vie continue.
Vivian ne cesse inlassablement de prendre des photos.
Le monde en couleurs
Elle a expérimenté la couleur dès ses débuts. Dans les années 1970, elle arrête définitivement le noir et blanc après l’achat d’un appareil Leica.
Son travail en couleur est excellent, plein d’humour à la Martin Parr ou de poésie à la Saul Leiter (allez lire mon article). Et toujours, ce fabuleux sens du cadrage.
Voici une sélection de mes photos préférées :
Cliquer sur une des photos pour voir la galerie en plein écran.
À partir des années 1980, elle expérimente d’autres médiums. Avec un magnétophone, elle interviewe des gens dans la rue. Avec une caméra Super-8, elle produit de petits films comme celui-ci.
Fins de vie
Vivian prend sa retraite en 1996 à l’âge de 70 ans.
Ses économies passent dans la location de box de stockage pour ses journaux et ses photos qu’elle consulte rarement.
Elle continue de s’intéresser à l’art en achetant des magazines et des livres.
Toutefois, à partir du milieu des années 1980, elle délaisse progressivement la photographie pour l’abandonner définitivement en 1999.
Carl, le frère
Carl a été diagnostiqué schizophrène.
Il a fait de nombreux séjours dans des hôpitaux psychiatriques.
Il a fini dans une maison de repos.
Il est mort à l’âge de 57 ans d’une rupture de l’aorte.
Le personnel soignant se souvient de lui comme d’un homme gentil, bien élevé, et apparemment apaisé.
Marie, la mère
Marie a quitté les États-Unis lorsque que Vivian avait 17 ans. Elle a revu sa fille une fois en 1951 pour semble-t-il tenter de profiter de son héritage.
Elle a fini sa vie dans une pension de famille dégueu jusqu’à sa mort à l’âge de 68 ans.
Elle a laissé 360 dollars.
L’administration n’a trouvé aucune trace d’héritier dans ses papiers.
Elle est enterrée dans une fosse commune municipale.
Charles, le père
Charles Maier est mort à l’âge de 75 ans, un mois après sa femme Berta, ravagé par l’alcool et le chagrin.
À son décès, le testament est violent.
Trois petites lignes.
Il a déclaré ne rien vouloir laisser à ses enfants qu’il n’a pas vus depuis de nombreuses années et qui n’ont pas été proches de lui.
Vivian
Après son dernier boulot, Vivian se retrouve en grande difficulté financière.
Les trois frères Gensburg lui trouvent un petit appartement face au lac Michigan, qui dit-on, recèle de poissons aux couleurs vives.
Après son incinération, ils dispersent les cendres de Vivian dans la forêt où elle les emmenait jouer lorsqu’ils étaient enfants.
Conclusion
Vivian Maier a eu une belle vie. Elle a voyagé comme peu de femmes de son époque l’ont fait. Elle a aimé la photographie plus que quiconque.
Elle n’a pas eu la volonté de changer le monde comme Berenice Abbott. Au plus a-t-elle voulu se changer elle-même et devenir quelqu’un d’autre.
Si ses inspirations sont celles de son époque, la plupart de ses photos sont reconnaissables en un coup d’oeil. Sans doute l’apanage des grand(e)s photographes.
Toute sa vie, Vivian a pris de fascinants autoportraits, quasiment sans équivalents dans l’histoire de la photographie.
Les autoportraits de Vivian Maier
Jeux de miroir
Vivian a créé des autoportraits dans lesquels elle se met en scène par des jeux de miroirs. Le cadrage est souvent serré et l’attention se focalise sur la photographe.
Elle fait preuve d’ingéniosité en démultipliant son image.
Autoportraits contextuels
Vivian inclue son environnement, des gens, une scène de vie.
Ou un petit chat.
Ombres
Vivian a pris pas mal d’images avec le soleil dans le dos, en jouant sur son ombre, avec beaucoup d’imagination et de subtilité.
Miroirs déformants
Il s’agit d’autoportraits dans lesquels les supports de réflexion sont des objets déformants. Ils réduisent, déforment ou renversent Vivian.
Autoportraits en couleur
Et pour finir, des autoportraits en couleur.
FIN.
Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Et merci à mon amoureuse d’avoir autant supporté Vivian Maier ces dernières semaines.
Si l’article vous a plu, laissez-moi un petit mot, cela fait toujours plaisir.
Les meilleurs livres de Vivian Maier
Si vous souhaitez acheter l’un des livres, vous pouvez cliquer sur leur couverture, c’est un lien affilié : ça ne vous coûte pas plus cher, Amazon gagne un peu moins et moi un petit peu.
Monographies
- Vivian Maier : Street Photographer – Éditions powerHouse Books – 25.7 x 28.3 cm – 128 pages
- Vivian Maier : The Color Work – Éditions Harper Design – 26,9 x 32,3 cm – 240 pages
- Vivian Maier : Self-portraits – Éditions powerHouse Books – 25.7 x 28.6 cm – 120 pages
Biographies
- La mieux documentée : Vivian Maier : Enquête sur une femme libre d’Ann Marks
- La mieux écrite : Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse
91 réponses sur « La folle vie intérieure de Vivian Maier »
Merci Antoine pour cet article tout aussi instructif que les autres. Étant un jeune padawan dans le domaine de la photo, je découvre et dévore toutes les infos indispensables pour me forger des idées et me former.
Avec plaisir, merci Regis.
Toujours un réel plaisir de vous lire. Un grand merci pour votre partage d’une passion commune : la photographie et les photographes qui la font vivre.
Merci pour le petit mot, cela me touche.
Bravo pour cet article extrêmement bien documenté et dont l’écriture vivante est un atout considérable. (Et le fait qu’il soit écrit d’une autre génération que la mienne apporte un éclairage plaisant, j’ai ainsi découvert la signification de osef !)
J’avais a peu près lu tout ce qui a été publié sur Vivian Maier, ai été ému par l’expo parisienne ainsi que les différents films et docs diffusés sur Arte, mais j’avoue avoir eu plaisir à aller jusqu’au bout de l’article, tant le fait de restituer dans l’époque et les comparaisons avec les photographes contemporains est pertinent et intéressant.
Bravo, continuez à nous régaler.
Merci Jean-Claude d’avoir pris le temps de m’écrire ce joli mot.
Félicitations Antoine Zabajewski pour ce flamboyant éclairage sur cette singulière du moment décisif qui a finalement gagné à l’universalité.
Le jeu des occurrences, la tonalité de vos propos singularisent bien Vivian Maier.
Quant à la question de la folie, croyons Samuel Beckett : «Nous naissons tous fous. Quelques uns le demeurent.»
Oui l’acte photographique relève d’une obsession…juste et nécessaire, selon moi.
Merci Christian pour vos mots et la citation de Beckett tirée de En attendant Godot 😉
Merci beaucoup pour cet article. Je ne l’ai pas encore lu mais je ne vais pas tarder à le faire.
Vivian Maier fait un peu partie de mon environnement. En effet j’habite Gap, je fais partie d’un club photo dont l’un des membres s’occupe de la maison de la photographie Vivian Maier dans le Champsaur, là où elle habitait.
Je connais aussi très bien le petit fils d’Amédée Simon, photographe chez qui elle allait faire développer ses photos à St Bonnet en Champsaur. Ce magasin a fermé il y a peu de temps.
Je découvre ses photos depuis quelques temps, et je suis sûre que votre article va m’apprendre plein de choses !
Ah oui le fameux Amédée Simon chez qui Vivian Maier faisait développer ses photos à St Bonnet en Champsaur.
J’espère que l’article vous a plu.
Merci Aude.
Merci pour ce long et détaillé article sur Vivian Maier. J’ai récemment découvert cette photographe en regardant le documentaire À la Recherche de Vivian Maier.
Fasciné par son histoire et la qualité de ses images, je me suis fait offrir à Noël le livre Vivian Maier: Street Photographer. Je me régale depuis en feuilletant les pages (très belle mise en page, au passage !).
J’ai trouvé votre article passionnant, notamment :
– la partie consacrée aux influences de Berenice Abbott et de Helen Levitt sur le style de Vivian Maier, avec plusieurs photos à l’appui;
– mais aussi ses images en couleurs que je ne connaissais pas.
Merci donc, et bravo!
Merci Paul.
Cette femme n’a pas été victime de sa vie, elle a juste refusé les compromis. Elle était entière, c’est sans doute ce qui a fait de sa vie un mythe.
Merci pour cet article montrant qui elle était.
Merci Bertrand.
Après avoir découvert cette photographe dans une grande expo à Madrid il y a plusieurs années, j’ai acquis une photo d’elle à la galerie Les douches à Paris. Merci pour ce superbe article.
Merci Claudia.
Vivian Maier a vraiment eu un destin assez délirant et à mon sens, émouvant. Toute cette vie dans l’anonymat le plus total et grâce à (ou à cause de) ce Maloof on la découvre, ainsi que sa merveilleuse œuvre.
J’ai fait pas mal de galeries aux États-Unis et en France. Les photos se vendent entre 4000€ et 8000€. C’est invraisemblable ce business autour de cette fabuleuse découverte qui va profiter à ce cher monsieur Maloof. Ce cynisme est un peu le reflet de notre époque.
Malgré tout, il nous reste ces dizaines de milliers de photos toutes plus belles les unes que les autres. Je suis vraiment touché par toutes ces photos qui montrent la société américaine des années 1950-1960. Moi qui suis un fan absolu de cette période des États-Unis, je suis comblé. Ses photos sont à couper le souffle.
Bonjour Antoine, merci pour cet article parfaitement écrit et détaillé.
Vivian Maier est une de mes photographes préférées. J’ai eu l’occasion de voir son exposition à Quimper et à Pont Aven.
Bonne continuation.
Amicalement,
Clément.
Je suis content que l’article ait été à la hauteur de l’affection que vous portez à Vivian Maier.
Merci Clément.
Bonjour Antoine, moi c’est Antoine aussi !
Je viens de lire ton article complet, et ton travail d’écriture et de recherches est excellent ! J’ai adoré.
J’ai été voir l’exposition au musée du Luxembourg en janvier, et depuis je ne cesse de faire des recherches sur Vivian Maier.
J’ai regardé l’incroyable film À la recherche de Vivian Maier de John Maloof et Charles Siskel.
J’ai lu l’autobiographie qu’en a fait Ann Marks, qui est extrêmement complète.
À présent, je découvre ton article, qui, je ne pensais pas, me prendrait autant de temps. Les liens vers les sources comme l’avis de décès, le Flickr… sont des mines d’or pour moi. Et à chaque fois, je découvre de nouvelles photographies de Vivian Maier.
Pour finir, ta manière d’écrire est fascinante, à la fois cordiale, à la fois moderne, et imprévisible (la blague de David Lynch m’a fait rire) et tu as une vraie patte d’écrivain je trouve 😉
Merci pour ton article et ton site, très bonne découverte !
Un autre Antoine.
Hello Antoine,
J’ai suivi le même cheminement que toi après avoir vu À la recherche de Vivian Maier.
J’ai été fasciné par la vie de Vivian Maier, sa personnalité et ses images.
J’ai voulu en savoir plus. À l’époque, ce n’était pas évident parce que l’information disponible était moins abondante qu’aujourd’hui.
Je ne pensais pas que, quelques années plus tard, j’écrirais ce si long article.
Toi qui la découvres tout juste, fais attention, tu ne sais pas jusqu’où Vivian peut te mener 😉
Et merci pour tous tes compliments.
Au plaisir,
Antoine
Très bel article, documenté, inspiré et sensible !
Merci !
Bonjour, super article, très bien écrit et très enrichissant.
Moi qui pensais en connaître beaucoup, j’ai été agréablement surpris.
Est-ce que vous savez si Maier et Abbott se sont rencontrées?
Bonjour, à ma connaissance, Vivian Maier et Berenice Abbott ne se sont jamais rencontrées.
Elles auraient pu se rencontrer à la New School for Social Research si Vivian Maier avait suivi des cours de photographie. Mais, il semble qu’elle n’y est jamais mis les pieds.
Ravi que l’article vous ait plu.
Une vraie histoire à l’américaine !
Qu’est-ce que j’aurais aimé acheter ce lot ! 🙂
Bref, c’est dingue.
Vivian Maier ne pouvait être qu’américaine !
Un immense merci à l’auteur de m’avoir fait découvrir son long article sur Vivian Maier.
Même si je connaissais déjà en partie sa vie, d’autres aspects et certains documents iconographiques m’étaient inconnus.
J’ai eu un coup de cœur sur le livre de Josse intitulé une femme en contre-jour. Je peux vous le faire parvenir si vous le souhaitez (bien que ce soit très modeste.)
Bien à vous.
PS : je connaissais déjà d’autres articles de vous. Celui sur Saul Leiter par exemple…toujours très bons!
Merci Isabelle.
C’est sympa mais j’ai déjà lu une femme en contre-jour dans le cadre de mes recherches !
Article très agréable à parcourir. Moi qui ne connais pas le monde de la photographie j’ai apprécié la lecture et les détails et tout le travail de recherche effectué. Super boulot et vivement le prochain article.
Content que ça t’ait plu !
Je suis tombée par hasard sur votre article après avoir vu à la TV le film À la recherche de Vivian Maier, que votre présentation complète judicieusement.
Le film de John Maloof est essentiellement basé sur les témoignages forcément subjectifs des personnes qui ont employé Maier comme gouvernante ou dont celle-ci s’est occupée.
Vous offrez un autre point de vue enrichissant et très documenté, en particulier sur les influences possibles de Maier ou les photographes dont elle pourrait se rapprocher.
Merci !
J’ai appris que le film À la recherche de Vivian Maier passait à la télé !
Je suis content qu’il vous ait plu et qu’il vous ait permis de découvrir mon article 🙂
Merci Assia !
J’avais découvert Vivian Maier par l’exposition de Grenoble en février 2020 et cela m’avait évoqué l’expérience photographique de mon père, l’écrivain Mohammed Dib.
Il a photographié en 1946 son environnement, dans sa ville de Tlemcen (ouest algérien), et lui aussi ses photos n’ont été découvertes par le public que près de cinquante ans plus tard.
Elles ont été exposées à la biennale de Bamako et dans d’autres lieux en Europe et aux États-Unis.
Elles ont été publiées dans un livre : Tlemcen ou les lieux de l’écriture, réédité récemment (Images plurielles/Barzakh).
J’aime beaucoup la façon dont est abordé l’article. C’est un bel hommage à une femme moderne.
Merci pour ce travail de haute qualité.
Merci Blandine !
Article passionnant, comme d’habitude !
J’ai découvert « en vrai » le travail de Vivian Maier lors de l’expo de Grenoble fin 2019 après avoir vu le film « À la recherche de Vivian Maier« , mais l’article apporte un plus en décrivant sa vie et son comportement autistique complexe.
Intéressant également l’influence des ses contemporaines et les comparaisons de scènes et de cadrages.
Bravo.
Merci Jean-Michel !
Bonjour Antoine,
Encore un ample travail de documentation et de correspondances avec l’époque pour nous faire entrer dans la vie et l’oeuvre de cette grande photographe.
Mais le plus remarquable dans cet article, c’est l’empathie, une intimité et une chaleur envers l’autre que tu sais si bien nous faire partager.
Merci Albert !
Ô combien passionnante la lecture de cet article trouvé un peu par hasard. Je vais me régaler de le relire à nouveau, comme une fine gourmandise.
Félicitations.
Ô ! Merci Gilbert !
Je pensais tout savoir sur la grande Vivian Maier. Je suis même allé voir sa retrospective au Musée du Luxembourg pour pouvoir lécher son Rolleiflex et caresser son Leica. [Avec les yeux, bien sûr.]
C’était évidemment sans compter sur Antoine, qui nous apporte ici un point de vue unique et très pertinent.
Il prouve, si besoin est, que le travail d’un.e photographe (et de tout.e artiste en général) ne peut être analysé correctement que si l’on prend en compte son environnement familial, ainsi que l’environnement culturel dans lequel ils/elles vivaient.
Il nous montre ici que Vivian Maier n’était pas une victime. Et c’est très important, car elle est souvent décrite comme une artiste incomprise de son vivant, une artiste ignorée, oubliée, sinon même méprisée. Ça fait vendre, bien sûr. Mais comme il le dit, en fin de compte Vivian a eu une vie relativement satisfaisante. Elle a réussi à s’intégrer dans la société malgré des problèmes psychologiques évidents (phobie de l’autre, syndrome de Diogène, ou plutôt syllogomanie comme Antoine nous le précise) et une famille dysfonctionnelle (des parents vraiment pas clairs, un frère schizophrène, etc.).
Elle a même eu le choix de vivre d’un coté ou de l’autre de l’Atlantique, faisant plusieurs fois la traversée à une époque où ce n’était pas juste un red eye JFK-CDG. Elle rentre même aux States dans les années 50 avec un héritage en poche, après des négociations serrées. Quelle femme!
Elle utilisera une petite partie de ce pactole (6%) pour s’acheter l’appareil de ses rêves, un Rolleiflex. Quel.le photographe débutant.e n’a pas rêvé d’une telle aubaine…
Elle a ainsi réussi à organiser sa vie personnelle et son activité professionnelle afin de pouvoir exposer une pellicule photo chaque jour. Chapeau! [Du plus grand chapelier de la ville, comme le précise Antoine.]
Je connais beaucoup de photographes contemporain.e.s qui aimeraient pouvoir en faire autant, mais qui ne s’en donnent pas les moyens. Bien sûr, elle a du payer le prix. Par exemple elle a dû vivre avec une famille qui osait mettre un portrait de David Lynch sur les murs de leur salle à manger. [It’s a joke.]
En plus, elle ose faire un tour du monde en solo, pendant six mois, à la fin des années 50. Bravo! (Ou plutôt, brava!). This woman was gutsy.
Il est vrai qu’elle n’a pas eu la réussite de son vivant, celle qu’elle a maintenant, post mortem. Mais on connait beaucoup d’artistes comme ça… Van Gogh, Mozart,… D’ailleurs, celui-ci n’a jamais entendu son Requiem K.626 [sinon dans sa tête] puisqu’il est mort avant même de l’avoir terminé. De même, Vivian n’a jamais vu ses photos dans les musées. Ou sur flickr. Ni même sur Instagram. La vie n’est pas juste. Mais ça, on le savait.
Antoine, le Photographe Minimaliste, nous montre ici que malgré ça, une Française “froide, distante, indifférente” a vu l’Amérique comme très peu d’autres photographe avant elle. C’est brillant.
Merci Victor pour ces mots qui résument admirablement mon ressenti.
J’ai mis la main sur un lot de plus de 8000 diapositives des années 1950/1960 voire plus anciennes.
Elles remémorent les nombreux voyages touristiques d’un couple à travers le monde. L’héritier de ce couple m’en a fait cadeau car il ne savait qu’en faire.
Un véritable trésor photographique!
Cela me fait penser à The Anonymous Project.
En 2017, le réalisateur Lee Shulman a acheté un peu par hasard une boîte de diapositives vintage. Il est tombé complètement amoureux des personnes et des histoires qu’il a découvertes.
Si vos images valent le coup, il serait intéressant de les partager.
Merci pour cet article riche, passionnant, et diablement bien écrit !
J’aime vraiment ta plume, j’attends ton prochain article avec impatience.
Oh ! Merci Lucie 🙂
J’avais un peu d’appréhension avant de lire cet article. Mais il est très bien documenté et très intéressant à lire.
Montrer ses différentes influences est une très bonne approche pour parler de Vivian Maier et de son travail.
Bravo Antoine !
Je comprends ton appréhension.
Plus je faisais des recherches, plus le nombre d’articles consacrés à Vivian Maier augmentait, plus je me demandais comment j’allais aborder le sujet.
Je me suis focalisé sur sa psychologie, ses influences et le contexte de l’époque, moins présents dans les autres articles, voire inexistants.
Merci Sophie !
Passionnant comme toujours.
Pouvoir entrer ainsi dans l’intimité de Vivian Maier, connaître sa personnalité, ses ressentis, c’est vraiment précieux.
Merci !
Merci Alice !
Article instructif.
Les parallèles établis entre d’autres femmes photographes de la même époque sont éloquents.
Au-delà du talent indéniable de Vivian Maier et de la success story qu’a provoqué son « invention » et dont elle ne ne bénéficiera pas, il serait bon de rappeler deux ou trois choses :
– L’oeuvre d’un ou d’une photographe se construit aussi et surtout après la prise de vues : le choix des photos (editing), leur style de tirage, leur séquençage en série, l’exposition et peut-être l’édition, tout ces choix de post-production n’ont jamais été le fait de Vivian Maier elle-même, mais de son « inventeur » John Maloof.
– Vivian Maier, sans doute pour des raisons économiques et d’autres raisons plus obscures, n’a jamais pu aller au-delà de l’étape de la prise de vue. Ou peut-être cette étape de la prise de vue lui suffisait-elle ?
– Cela me rappelle Gary Winogrand, photographe compulsif, qui a laissé à sa mort prématuré près de 250000 photos inédites dont beaucoup en l’état d’images latentes (films non-développés) qu’il n’aura donc jamais vues.
Comment savoir ce qu’il aurait choisi, conservé et jugé digne d’être présenté au plus grand nombre parmi cette masse de documents ? Et bien, d’autres s’en sont chargé, au mépris de son travail passé et de sa mémoire. Parce qu’il y avait sans doute un filon à exploiter ?
Une seule certitude demeure : les seules photographies représentatives de son oeuvre sont pourtant bien celles que Winogrand a choisies, tirées et agencées lui-même !
Vivian Maier n’a jamais pu ou voulu faire ces choix, et c’est regrettable car si elle avait été au bout de sa démarche, il aurait été impossible de la qualifier de « nounou-photographe » comme certains l’ont fait.
Bonjour Christian,
Merci pour la pertinence de vos propos.
Deux petits commentaires :
– Le travail de Vivian Maier ne constitue pas une oeuvre, je vous rejoins. Il ne s’agit pas de la vision de l’artiste mais de l’interprétation de ceux qui l’ont inventée, par le choix des images, le choix des tirages, etc.
– Vivian Maier a toutefois tiré plusieurs milliers d’images. Les tirages sont de mauvaise qualité. Souvent, Elle recadrait ses images, un peu à la manière de Lisette Model, c’est-à-dire en se focalisant sur le sujet.
Les photos que l’on connaît d’elle ne sont pas recadrées et ne collent pas avec ses préférences originelles.
« L’oeuvre d’un ou d’une photographe se construit aussi et surtout après la prise de vues : le choix des photos (editing), leur style de tirage, leur séquençage en série, l’exposition et peut-être l’édition... »
Je ne suis pas sûr que ce soit totalement vrai. De nombreux photographes privilégient la prise de vue, l’instant magique, le contact avec le modèle, l’expérience de terrain, et se moquent bien de la qualité du tirage tant que leur message reste clair.
On connait bien la relation historique entre Magnum et Picto : les photographes shootent, les tireurs tirent.
Donc ceux qui affirment que Vivian Maier n’est pas une artiste complète parce qu’elle se préoccupait assez peu de l’après-photo sont un peu intransigeants. Elle pensait peut-être au contraire que quelque soient les conditions dans lesquelles ses photos seront montrées, elles retiendront tout leur impact?
Beaucoup de compositeurs n’ont pas entendu leur musique jouée par les orchestres qu’ils méritaient, beaucoup de peintres n’ont pas eu les galeries qu’elles auraient dû avoir, mais leurs œuvres n’en restent pas moins des merveilles.
Vraiment très intéressant.
Le lien entre sa psychologie, sa vie et son œuvre est bien expliqué.
Merci beaucoup pour ce beau travail.
Merci Arnaud!
Très chouette article, comme d’habitude oserai-je ajouter 😉
Et ça se lit toujours avec enthousiasme et facilité.
Bonne continuation !
Merci David!
Merci Antoine pour ce nouvel article. Encore très approfondi, j’ai pu découvrir son travail avec la couleur.
Merci Romain!
Article, biographie, histoire …. c’est passionnant, étonnant et instructif!
On ne remerciera jamais assez John Maloof pour cette découverte qui nous promène entre France et USA, aux côtés de cet étrange personnage qu’était Vivian Maier, talentueuse photographe!
Merci.
Merci Françoise!
Merci Antoine pour cet article magnifiquement documenté, rédigé avec une si belle plume, et guidé par tant d’humanité, d’esthétisme, de beauté et de connaissances.
Je ne pourrais pas résumer mieux qu’une lectrice, qui a décrit avec justesse ce que l’on ressent à la lecture. Je la cite : « Tu es un magicien Antoine ! Tu arrives à nous faire croire que tu étais l’ami de Vivian Maier, qu’elle se confiait à toi comme à personne d’autre ».
Avec toi, la magie du beau récit opère.
Bravo et chapeau bas Monsieur!
Merci Claudine!
Très intéressant et comme toujours très documenté. Merci.
Merci Stéphane!
Encore bravo ! Un autre super article. Merci.
Merci Chantal!
Et toujours un article très documenté et passionnant !
Je trouve très intéressant la démarche de relier la vie de Vivian Maier et surtout sa personnalité, son histoire familiale avec son cheminement artistique.
Bravo et … merci !
Merci Pierre!
Tu es un magicien, Antoine! Tu arrives à nous faire croire que tu étais l’ami de Vivian Maier, qu’elle se confiait à toi comme à personne d’autre.
Encore une fois un magnifique article, très fouillé, qui explore cette vie unique bien au-delà de sa seule personne.
J’ai appris une foule de choses, dont une spécialement qui m’a beaucoup touchée: elle s’est éteinte le jour de mon anniversaire. C’est idiot mais ça me rapproche encore plus d’elle, dont j’admire infiniment le travail.
Chapeau bas, Monsieur!
Oh! Merci beaucoup Francine!
Merci Antoine pour ce nouvel article toujours aussi riche et bien fait que les précédents.
Intéressant d’avoir choisi la chronologie de la vie de Vivian Maier de façon à mieux comprendre la femme qu’elle était et les influences dont elle s’est nourri.
Merci Jean-Michel!
Encore un très bon article, cette fois sur une fabuleuse photographe.
C’est toujours un plaisir de lire sur lephotographeminimaliste.fr, que l’on connaisse ou non le (la) photographe cité(e), on y apprend forcément quelque chose.
Merci Christian!
Comme d’habitude vous m’avez enchanté par votre présentation d’artiste, au plus près de leur âme de créateur.
Rêver la vie des autres, c’est sublimer la sienne. Votre amoureuse a bien de la chance…
Merci Gérard!
J’ai aussi pas mal de chance 😉
Merci pour ce très bel article extrêmement bien ficelé et documenté.
Toujours un plaisir de vous lire!
Merci Roland!
Grand merci pour cette superbe biographie et analyse.
Une « découverte » extrêmement stimulante le long de mon cheminement photographique.
Et avec toute mon admiration pour la qualité de ce travail. Je comprends combien votre « amoureuse » doit être tenace et patiente.
Merci Jean! Elle l’est 🙂
Magnifique article, bravo! Le meilleur que j’aie lu sur elle!
Merci beaucoup Cécile!
Palpitant pas d’autres termes ! Mais… comme à l’habitude. Merci.
Merci Marie-Christine!
Merci pour cet article ! Ça remet les pendules à l’heure sur un phénomène médiatique que tout le monde croit connaître.
Le parallèle avec l’histoire de la photo et la formation de Vivian est très intéressant.
Merci Bruno!
Bonjour Antoine,
Je viens de découvrir récemment l’histoire de Vivian Maier. Par un ami qui m’a parlé d’elle. Je suis allé voir sur Google.
J’ai lu un peu son histoire, sa psychologie, sa famille et son époustouflante photographie !
À travers ses photos, je ressens beaucoup d’émotions. Et j’ai même fondu en (petites) larmes, je ne sais pas pourquoi, c’est inexplicable !
Elle a un grand talent et se débrouille très bien avec ses appareils argentiques. C’est incroyable ! Je suis fasciné par elle et ses photos.
Merci Antoine pour ton article !
PS: la prochain expo en France sera quand ? Merci.
Merci Olivier !
C’est toujours émouvant de découvrir un ou une photographe qui nous touche autant.
J’ai vérifié si Vivian Maier était exposée en France. Elle l’est jusqu’au 29 mai 2022 au musée des Beaux-Arts de Quimper.