Entrez dans la tête du photographe Simon Vansteenwinckel, au plus près de son travail, de ses goûts, de ses influences et de son processus créatif.
Temps de lecture : 21 min
Sommaire
- 1 Qui est Simon Vansteenwinckel ?
- 2 Ses principaux projets
- 3 Partie I : Zoom sur un projet photo de Simon Vansteenwinckel
- 4 Partie II : Les goûts et les inspirations de Simon Vansteenwinckel
- 5 Partie III : Le processus créatif de Simon Vansteenwinckel
- 5.1 Qu’est-ce qui vient en premier chez toi : l’idée d’un projet ou bien des photos individuelles qui suggèrent un concept ?
- 5.2 Quels éléments clés doivent être présents lorsque tu crées un projet photo ?
- 5.3 Comment considères-tu la création d’un projet qui fait sens par rapport à la réalisation d’une grande photo individuelle ?
- 5.4 Quelle relation entretiens-tu avec le concept de beauté en photographie ?
- 5.5 As-tu ce que l’on appelle un « style photographique » ?
- 5.6 Comment définirais-tu ton approche sur un continuum qui irait de complètement intuitif à intellectuellement formulé ?
- 5.7 Comment définirais-tu ta photographie sur un continuum qui irait de document scientifique à poésie abstraite ?
- 5.8 En supposant que tu photographies aujourd’hui avec ce que tu considères comme ta voix naturelle, as-tu déjà souhaité que ta voix soit différente ?
- 5.9 Que fais-tu lorsque tu doutes ou tu te sens bloqué sur le plan créatif ?
- 5.10 Comment sais-tu qu’un projet photo est terminé ?
- 6 Conclusion
Qui est Simon Vansteenwinckel ?
Simon Vansteenwinckel est un photographe belge né en 1978 à Bruxelles. Il est gradué en graphisme, équivalent d’un bac+3, obtenu à l’Institut Saint-Luc, une école d’art de Bruxelles.
Son père était photographe. C’est lui qui lui a offert son premier boîtier. Aujourd’hui, Simon travaille à Bruxelles et vit à Wauthier-Braine, à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale belge.
Remarque : Simon m’a proposé de répondre aux questions non pas à l’oral, mais par écrit. Voici son texte.
Ses principaux projets
Charlyking (2008-2013)
En 2008, je décide de photographier la ville de Charleroi en errant dans ses rues. J’en ai une vision assez noire et satirique. J’utilise un vieux boîtier Holga 120 pour accentuer le côté sombre et flou.
De mémoire, c’est vraiment la première série que je construis de la sorte. Elle crée une sorte de déclic dans ma manière de faire la photographie, en amenant le côté sériel et narratif.
C’est aussi l’un des premiers projets que je montre aux différents acteurs du monde de la photographie.
Nosotros (2014-2015)
En 2014, je pars au Chili en famille pour un voyage d’un an. Carolina, mon épouse, est née là-bas. Nous voulons montrer à nos trois filles leur pays maternel et rencontrer toute cette partie éloignée de leur famille qu’elles ne connaissent pas.
C’est un voyage initiatique pour nous tous et nous reviendrons changés à jamais. Je photographie bien évidemment tout le voyage, le pays, la culture, mais surtout nos enfants, qui deviennent rapidement le sujet de la série.
De retour en Belgique, je publie mon premier livre Nosotros aux éditions Yellow Now, qui sortira en 2018.
Voici le projet sous la forme d’un diaporama musical :
Platteland (2008-2018)
En 2019, Home Frit’ Home, le micro musée de la frite à Bruxelles, me propose une exposition. Une seule thématique, la Belgique.
Ça tombe bien, ça fait des années que je photographie le pays à travers des événements spécifiques et particuliers. On décide de montrer une Belgique « exotique » et on publie aussi un ouvrage avec toutes ces images, qui forment une décennie de photographie.
Voici le projet sous la forme d’un diaporama musical :
1010 (2018-2020)
1010 est une création en commun, le genre de projet collaboratif très important à mes yeux et que l’on aime mettre en place avec les éditions Le Mulet. (En 2018, Simon a cocréé les éditions Le Mulet avec Mathieu Van Assche.)
L’idée est simple : 10 photographes font 10 images d’un même lieu. Ensuite, on mélange tout et cela donne une série de 100 images réalisée par 10 personnes.
On a fait une trilogie belge avec 3 opus distincts :
- la gare du Midi pour Bruxelles
- les Ardennes pour la Wallonie
- la côte pour la Flandres
Wuhan Radiography (2020)
Wuhan Radiography est un projet un peu particulier.
Lors du premier confinement de 2020, je suis en Belgique lorsque le Hangar, le centre photographique à Bruxelles, lance un appel à collaborer aux photographes européens. Le but : créer une série photographique pendant le confinement.
J’accepte le défi et décide de photographier la ville de Wuhan via Google Street View. Tout le monde parle de cette mégalopole chinoise comme du berceau du Covid-19 sans savoir à quoi elle ressemble, moi y compris.
Je branche mon ordinateur sur ma télé et photographie directement l’écran avec un appareil analogique et du film noir et blanc Washi F, utilisé à l’origine pour les radiographies de maladies pulmonaires.
Par moment, le flash de l’appareil fait apparaître un halo blanc sur l’écran, comme une sorte de soleil fantomatique.
Le projet Wuhan Radiography aboutit en 2022 à un livre publié aux éditions Lightmotiv.
L’entrevue commence.
Pour en savoir plus sur le concept de l’entrevue : C’est quoi l’entrevue “Dans la tête” ?
Partie I : Zoom sur un projet photo de Simon Vansteenwinckel
Parle-moi d’un de tes projets
Aux Ombres est un projet que j’ai commencé en 2023.
J’ai toujours eu un attrait particulier pour les États-Unis et tout ce que ce pays représente, une sorte de caricature de notre société actuelle. J’ai souvent cherché des traces d’Amérique ici en Belgique et je m’y suis rendu plusieurs fois. L’Amérique, on l’aime et on la déteste.
La culture des natifs d’Amérique du Nord m’a toujours subjugué. Il me semble que j’ai découvert le sujet d’Aux Ombres sur internet.
Chaque année, en décembre, dans le Dakota du Nord et le Dakota du Sud, des membres des tribus Lakotas (Sioux), se rassemblent pour réaliser une chevauchée à cheval de 450 km, pendant 15 jours, sous des températures pouvant descendre jusqu’à -20°C. Ils suivent les traces de la tribu du chef Big Foot, dont les 300 membres, principalement des femmes et des enfants, furent massacrés à Wounded Knee le 29 décembre 1890.
En savoir plus sur le massacre de Wounded Knee.
Je suis tombé sur des images de cette chevauchée et j’avais l’impression de découvrir des guerriers à cheval tout droit sortis d’un autre âge, du royaume des ombres, des images d’une puissance et d’une résilience incroyables, un peuple qui a subi les pires abominations mais qui continue à vivre et aller de l’avant, avec une spiritualité très forte qui nous fait tant défaut ici en Europe.
Mais surtout, je voyais une image totalement différente de ce que les médias nous montrent habituellement des réserves indiennes aux États-Unis, à savoir la violence, la drogue, l’alcool, le chômage, etc.
J’ai commencé à me renseigner sur le sujet, j’ai visionné le très bon documentaire The Ride (2018) de la journaliste Stéphanie Gillard, je me suis procuré le livre Sur la piste de Big Foot (2000) du photographe français Guy Le Querrec, qui a photographié la chevauchée en 1990.
Même si le sujet reste assez méconnu ici en Europe, moi, cela me parle énormément. Mais il s’est avéré difficile de nouer des contacts à distance avec des personnes qui participent à cette chevauchée.
J’ai dû laisser passer de nombreuses années avant de rencontrer la bonne personne, Natosha No Heart Luger, qui vit dans la réserve de Standing Rock, et qui partage chaque chevauchée en direct sur Facebook.
Et me voilà donc parti pour Bismarck en mai 2023 pour une première rencontre. J’y retourne ensuite en décembre pour la chevauchée, et j’aimerais y retourner une troisième fois.
Sur place, une fois que le gouffre créé par l’histoire est comblé, tu te retrouves juste face à face avec des personnes comme toi en fait, qui aiment rire, parler, et manger, malgré des conditions de vie exécrables.
Le projet est toujours en cours mais j’imagine déjà le livre qu’il pourra devenir. J’ai également filmé en Super 8 et j’aimerais inclure des séquences dans l’ouvrage.
Raconte-moi une photo de ce projet
Cette image a été réalisée en mai 2023 pendant le premier voyage, dans la réserve de Standing Rock, lors d’une chevauchée plus locale, organisée afin d’honorer les grands chefs Lakotas disparus.
J’ai choisi cette image car je trouve que l’on ressent fortement le côté harassé des cavaliers et leur difficulté de gravir cette pente. Pour moi, cela représente et symbolise toute la peine que subissent aujourd’hui encore les Lakotas pour continuer à aller de l’avant, mais aussi cette force extrême qui les pousse à ne jamais abandonner et à continuer à gravir cette montagne qui n’a pas de sommet.
Au moment de la prise de vue, j’ai anticipé leur passage en me plaçant au pied de la pente afin de capturer leurs silhouettes en contre-jour. J’adore user du contre-jour et du contraste très fort qu’il apporte. Les objets et les personnes deviennent alors des formes picturales.
C’est une image que j’avais rêvée. Je ne l’avais pas imaginée exactement comme cela mais j’en suis heureux. Ce fut un beau cadeau ce jour-là.
Partie II : Les goûts et les inspirations de Simon Vansteenwinckel
Un album que tu as beaucoup écouté
En mettant de côté les classiques du rap français que j’ai écoutés pendant des années et les albums de Léonard Cohen, je dirais Lhasa De Sela et son album Lhasa (2009), ainsi que ses deux premiers. Cette artiste me touche profondément.
Écouter sur Spotify ou Deezer.
Un roman qui a éveillé quelque chose en toi
Il y en a énormément mais le dernier en date, c’est certainement Betty (2020) de Tiffany McDaniel.
C’est l’histoire d’une petite fille qui grandit dans une famille de l’Ohio, dont le père, Cherokee, tente de lui apprendre que la vie n’est pas toujours telle qu’on la voit, et que l’amour et la magie sont partout. C’est un livre lumineux et sombre à la fois, qui m’a bouleversé.
Lire Betty
Un film dont tu te sens proche
J’ai toujours eu un amour inconsidéré pour le film The Goonies (1985) de Richard Donner.
C’est un peu bateau mais c’est mon film culte, très clairement. Il y a ces sentiments hyper puissants d’aventure, de découverte, et d’effroi propres à l’enfance.
À tel point qu’enfant, je rêvais de devenir cartographe, pour découvrir moi aussi un bateau pirate et son trésor. Aujourd’hui encore, je n’ai pas abandonné l’idée…
Voir The Goonies sur Allociné.
Où trouves-tu l’inspiration ?
Dans les médias la plupart du temps, en découvrant un sujet, une histoire, ou un lieu qui m’interpelle. J’ai ce vilain défaut, qui pour moi est une qualité, surtout pour un photographe, d’être extrêmement curieux.
Je pense que l’on est devenu trop peu curieux, que l’on se borne à son quotidien, à ne pas regarder trop loin, à ne plus aller voir ailleurs ce qui se passe. Je reste persuadé qu’il faut se confronter aux autres et à l’ailleurs, de manière viscérale et concrète.
Et donc, lorsque quelque chose que je ne connais pas m’interpelle, je décide d’aller le voir de mes propres yeux. La photographie me permet cela. C’est une porte d’entrée vers l’inconnu et c’est pourquoi je l’aime autant.
Les photographes qui t’inspirent
Je n’ai pas une culture photographique très poussée. Néanmoins, il y a de nombreux photographes connus qui m’ont inspiré : les Japonais du magazine Provoke, Robert Frank, Trent Parke, Anders Petersen, Jacob Aue Sobol, et le belge Stephan Vanfleteren.
Le magazine Provoke
Le tout premier numéro du magazine japonais Provoke voit le jour en novembre 1968. Dès son lancement, ce magazine de photographie affiche une ambition audacieuse : créer un langage photographique novateur capable de transcender les limites de l’écriture.
Sa période de publication est brève, le troisième et dernier numéro paraissant en août 1969. Pourtant, ce magazine d’avant-garde exercera une influence majeure sur plusieurs générations de photographes.
Voir quelques images de ces magazines réédités en 2018 :
Robert Frank
Voici 3 images de Robert Frank issues de son livre Les Américains (1958).
Trent Parke
Voici 3 images de Trent Parke issues de son livre Minutes to Midnight (2005).
Anders Petersen
Voici 3 images d’Anders Petersen issues de son livre Café Lehmitz (2004).
Jacob Aue Sobol
Voici 3 images de Jacob Aue Sobol issues de son livre I, Tokyo (2008).
Stephan Vanfleteren
Voici 3 images de Stephan Vanfleteren issues de son livre Belgicum (2007).
Cependant, je crois que les photographes qui m’inspirent le plus sont ceux que je côtoie, de près ou de loin. Non seulement leur travail me parle, mais j’apprends aussi énormément en passant du temps avec eux. Ils m’inspirent et me stimulent.
Je pourrais en citer pleins : Manu Jougla, Mathieu Van Assche, Marie Sordat, Gil Barez, Alexandre Christiaens, Stéphane Charpentier, Gilles Roudière, etc.
Des artistes modestes qui créent des images puissantes et sensibles. Leur style résonne en moi, un noir et blanc granuleux, sombre et contrasté, où les ombres soulignent la lumière.
Voici une image de chaque photographe, issue de l’une de leurs séries.
De gauche à droite et de haut en bas :
- Stéphane Charpentier, Éclipse (2022)
- Manu Jougla, Vita brevis, ars longa (2020)
- Gilles Roudière, Trova (2019)
- Marie Sordat, Nada (2021)
- Alexandre Christiaens, Eaux vives, peaux mortes (2012)
- Gil Barez, Cow-Boys & Indiens (2019)
- Mathieu Van Assche, Ghost Town (2022)
Un livre photo sur lequel tu reviens souvent
J’allais citer Half Life (2010) de Michael Ackerman mais David Siodos est passé avant moi.
Pour aller plus loin : Vous pouvez lire mon article Dans la tête de David Siodos.
Un autre livre qui m’a transformé, c’est Errance (2004) de Raymond Depardon.
C’est l’un des premiers livres photo sur lequel je me suis vraiment attardé et qui m’a fait prendre conscience du potentiel émotionnel de la photographie et de la force de ce médium.
J’aime bien sa manière de nous faire part de ses sentiments. Et cela m’a ouvert les yeux sur ce que pouvait être la photographie, pas juste une façon de créer des images, mais une porte grande ouverte sur le monde ainsi qu’un merveilleux outil pour raconter tout cela en histoire.
J’apprécie en même temps cet aspect méthodique et rassurant lors de ses prises de vue mais aussi la liberté totale dont il jouit lors de ses voyages.
Acheter le livre Errance de Raymond Depardon.
Partie III : Le processus créatif de Simon Vansteenwinckel
Qu’est-ce qui vient en premier chez toi : l’idée d’un projet ou bien des photos individuelles qui suggèrent un concept ?
Très certainement l’idée d’une série. Qui peut être provoquée par une photo individuelle mais la plupart du temps, c’est la découverte de quelque chose qui m’interpelle fortement et me donne envie d’aller voir, ou plutôt regarder.
Je pense que tout a déjà été fait en photographie. Si vous trouvez un sujet que vous pensiez original, vous trouverez sûrement déjà de nombreux photographes qui en ont parlé avant vous avec brio et intelligence.
Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui est primordial, c’est l’originalité de votre point de vue. Si vous y apportez une nouvelle manière de voir, une vision personnelle, alors votre série aura sa raison d’être.
Quels éléments clés doivent être présents lorsque tu crées un projet photo ?
J’avoue que je ne réfléchis pas nécessairement à cela avant de commencer. Le sujet me tombe dessus. C’est un problème car j’ai beaucoup plus de projets que de temps.
Moi qui suis par ailleurs quelqu’un d’assez méthodique, je me retrouve souvent avec trop de projets en même temps, qui s’entremêlent et que j’ai du mal à finir. Je papillonne et regarde avec envie les photographes qui font les choses avec méthode et dans l’ordre.
Mais dans le domaine de la création, je n’y arrive tout simplement pas. En même temps, j’aime cette liberté, qui est peu rassurante mais tellement jubilatoire.
Je gagne ma vie avec le graphisme, du moins j’essaie (mon épouse est éducatrice et nous sécurise un peu au niveau financier), et n’ai donc aucune contrainte au niveau de mon travail photographique. C’est le choix que j’ai fait. Je ne sais pas si c’est le bon mais il me convient.
Comment considères-tu la création d’un projet qui fait sens par rapport à la réalisation d’une grande photo individuelle ?
Ce sont deux choses totalement différentes.
Je peux apprécier une seule photographie pour ses qualités et l’émotion qu’elle me provoque. Mais je pense que la photographie est un travail de composition. On est là pour raconter une histoire, donner un point de vue, comme le ferait un réalisateur de cinéma ou un écrivain.
L’ampleur d’un photographe se dévoile dans la série, dans son propos. Franchement, en tant que photographe, si tu passes 10% de ton temps à faire des images, c’est beaucoup. Le reste du temps, tu cogites, tu sélectionnes, tu assembles, tu fais des dossiers, et tu réfléchis à ce que tu dis.
Cela demande beaucoup plus de qualités que d’être un bon cadreur ou un maître de la lumière. À mon avis, c’est à ce moment-là que tu perçois la réelle nature du photographe, ses valeurs, ce qui l’émeut.
Quelle relation entretiens-tu avec le concept de beauté en photographie ?
Je n’ai aucun problème avec cela. La photographie est un art visuel et elle se doit donc d’être attrayante, même si je n’aime pas trop ce mot. Ceux qui disent le contraire ne disent pas tout à fait la vérité. La beauté ne me fait pas peur, mais c’est un concept assez relatif.
Ce que je trouve beau ne l’est pas forcément pour quelqu’un d’autre. C’est une question de sensibilité personnelle et d’éducation. On voit bien par exemple que les canons de beauté évoluent au fil des époques.
Après, s’il est certain que la beauté provoque des émotions, le plus important reste le sens de ce que l’on raconte. C’est une subtile alchimie entre le contenant et le contenu qui provoque de grandes sensations.
As-tu ce que l’on appelle un « style photographique » ?
Oui. Même si la logique voudrait que l’on adapte son style et ses techniques aux besoins d’un projet, j’ai clairement un style que j’affectionne et qui s’est forgé au cours du temps.
C’est quelque chose d’intuitif, assez difficile à expliquer. Pourquoi est-ce que cette manière de faire des images me touche plus qu’une autre ? Pourquoi est-ce que cela ne parle pas à certains autres ?
C’est impossible à dire. C’est une sensibilité propre à chacun. Pour moi, c’est ma manière de voir le monde et de le retranscrire. J’aime la photographie qui transforme le réel, qui l’adapte, qui le tord. J’aime le hasard, la surprise et la magie ; et le fait que tu ne contrôles pas tout, que le résultat s’offre à toi et te saisisse.
Comment définirais-tu ton approche sur un continuum qui irait de complètement intuitif à intellectuellement formulé ?
Selon moi, il y a plusieurs phases distinctes. Au préalable, tu intellectualises beaucoup, tu réfléchis à ce que tu vas faire, tu te documentes, tu anticipes. Tu imagines des choses, tu vois des images, tu te projettes. C’est très intellectuel.
Au final, une fois sur le terrain, tout devient beaucoup plus intuitif. Tu ne sais jamais à quoi tu vas être confronté, ce qui va s’offrir à toi. Car j’aime à penser que chaque photographie est un cadeau qui te tombe dessus, mais un cadeau surprise.
Parfois, la magie opère, parfois non. Tu ne réfléchis pas trop.
Tu peux bien évidemment prévoir les images. C’est même très important. Un photographe doit anticiper une image, être au bon endroit pour prendre la photo avant que cela ne se produise. C’est une danse plutôt qu’un combat.
Après, tu retournes chez toi avec tout ça, et tu cogites à nouveau. Tu te retrouves avec ces petits fragments d’enchantement et tu dois les assembler pour proposer quelque chose d’intéressant aux autres, une histoire qui se tient.
C’est très certainement l’étape la plus compliquée et la plus laborieuse de tout le processus de création, car avec le même ensemble d’images, tu peux dire énormément de choses différentes. Tu peux parfois t’attarder sur telle ou telle image, parce que tu leur portes une affection toute personnelle, mais qui ne parleront à personne d’autre.
Tout comme le contraire est vrai aussi. Il faut réussir à se distancer, laisser reposer, y revenir plus tard, demander des avis extérieurs mais pas trop, préserver son propre jugement. Lorsque mes filles étaient petites, je leur demandais souvent conseil pour choisir une image, car un enfant voit mieux les choses que nous, qui sommes pervertis par des prismes, des canevas et des habitudes.
Comment définirais-tu ta photographie sur un continuum qui irait de document scientifique à poésie abstraite ?
Spontanément, j’irais clairement du côté de la poésie. C’est ce qui me touche. J’aime les non-dits, les propos qui n’ont pas besoin d’explications. La photographie conceptuelle m’intéresse beaucoup moins par exemple. Même si j’ai pu l’aborder d’une manière ou d’une autre avec une série comme Wuhan Radiography.
Après, rien n’est tout noir ou tout blanc. Car, comme la science, la photographie se confronte au réel. On prélève, on échantillonne, on élabore des théories. À la différence que l’on n’est pas à la recherche de l’exactitude ou de la vérité.
En supposant que tu photographies aujourd’hui avec ce que tu considères comme ta voix naturelle, as-tu déjà souhaité que ta voix soit différente ?
Je pense que ma voie naturelle est la communication visuelle, que ce soit en tant que photographe, graphiste ou éditeur de livres. Pour moi, tout est lié.
Certains s’expriment par la musique, l’écriture, le cinéma, le théâtre, etc. Étant un grand introverti, c’est cette manière de communiquer que j’affectionne, avec laquelle je suis le plus à l’aise. Et on peut dévoiler beaucoup de choses sur soi via la photographie.
La photographie a aussi l’avantage d’être hyper abordable. Ce n’est pas pour rien qu’elle attire autant de gens. Techniquement, il ne te faut pas dix ans pour apprendre. Tout le monde est capable de faire une bonne photo.
Mais si je devais essayer autre chose actuellement, je ferais plus de vidéo. Ou j’explorerais le dialogue hybride entre la vidéo et l’image fixe. C’est quelque chose auquel je réfléchis de plus en plus. Le documentaire vidéo m’attire vraiment.
Que fais-tu lorsque tu doutes ou tu te sens bloqué sur le plan créatif ?
Je doute beaucoup mais je suis rarement bloqué sur le plan créatif. Comme je le disais, j’ai plusieurs projets en cours et une liste d’envies longue comme le bras. Je m’interroge souvent sur la qualité et la pertinence de ce que je fais. C’est le propre de l’artiste de toujours douter. La certitude nous est étrangère.
C’est à la fois extrêmement stimulant et effrayant. Mais en même temps, il ne faut pas trop réagir face à ce doute. Le secret, c’est de toujours avancer. Si j’arrête de créer, c’est que cela va vraiment mal. La création est l’un des plus grands moteurs de ma vie, ce qui me donne le plus de satisfaction.
En tant que photographe, tu fais face à des vagues, des sommets et des creux. Il y a des périodes où tu te concentres sur la création, ces moments sont malheureusement de plus en plus rares, et d’autres où tu dois faire vivre ton travail (dossiers, expositions, promotion de livres, etc)
C’est difficile de jongler avec tout cela. Il faut avoir un sacré mental car le milieu de la photographie est assez ingrat. Il y a énormément de photographes, très peu de visibilité, et beaucoup trop de talents méconnus.
Comment sais-tu qu’un projet photo est terminé ?
Pour moi, le point final c’est le livre. Tant qu’un livre n’existe pas, la série peut toujours évoluer, même si elle a déjà été exposée plusieurs fois.
J’aime énormément les expositions, l’ampleur que peut prendre un travail sur des murs, la confrontation avec le public, mais le livre représente pour moi la forme achevée d’une série, son aboutissement, ce qui continuera à vivre dans le temps.
Conclusion
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Pour aller plus loin
Voici quelques liens supplémentaires pour découvrir Simon Vansteenwinckel et son travail :
- La revue Halogénure à laquelle il participe en tant que membre du comité de rédaction et graphiste.
- Visiter son site.
- Suivre son Instagram en cliquant sur sa tête.
Poursuivez la lecture avec une autre entrevue : Dans la tête d‘Elsa & Johanna.
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24 réponses sur « Dans la tête de Simon Vansteenwinckel »
Jolie découverte. Belle interview. Merci.
Comme tous les articles de ce blog, celui-ci est très intéressant. Merci de nous faire découvrir des photographes passionnés qui partagent leur vision et leur manière de faire.
On découvre aussi plein d’autres photographes au fil de la lecture.
Au détour d’une recherche sur cette toile sans fin, je tombe sur ce délicieux article avec, qui plus est, un photographe qui bouscule vraiment les codes, un vrai bonheur pour la rétine.
Merci infiniment pour cette découverte.
C’est étrange, je me suis trouvé il y a quelques années une journée d’hiver à Charleroi et j’ai été percuté par l’ambiance des lieux.
J’ai fait quelques images avant de tomber en panne de batterie (vive le numérique et les têtes en l’air).
Je me suis dit qu’il y avait un truc formidable à faire, et je n’y suis jamais revenu… Grâce à ce sujet je découvre le CharlyKing de Simon Vansteenwinckel et je prends une jolie claque.
Puis, je poursuis sur le reste de son travail et c’est une vraie découverte!
Merci pour ce sujet, et bravo l’artiste.
Encore un article très complet et très intéressant. Curieuse de nature, j’adore connaître les coups de cœur de ces photographes, liés à d’autres arts.
J’ai d’ailleurs écouté Lhasa en admirant le travail de Simon Vansteenwinckel.
Merci pour ce voyage.
Moi aussi !
Merci Mary.
Je suis le travail de Simon depuis longtemps. Je trouve que cet article lève un peu le voile sur un artiste un peu « couteau suisse », discret mais qui crée au fil du temps une oeuvre forte et cohérente, un style reconnaissable et une synthèse de belles influences.
Merci Marc.
Bonjour Marc,
Un grand merci pour ce commentaire qui me touche beaucoup. Très heureux de savoir que tu continues à suivre ce que je fais.
À plus tard.
Merci de partager tous ces photographes en leur laissant le temps de se dévoiler. Celui-ci me touche parce qu’il révèle ce qui n’est pas dit mais ressenti.
C’est ce que j’aime dans la photo : comme le dit Franco Fontana : « rendre visible l’invisible. »
Merci Christine pour ton commentaire très juste.
Bonjour Christine,
Merci pour votre commentaire et cette citation qui me parle particulièrement.
Vraiment merci pour ce partage. Résonance forte entre les mots et l’image. Tout simplement beau.
Merci Françoise.
Toujours très intéressant avec un traitement en profondeur qui offre de nombreuses ouvertures vers ce photographe de talent dont l’univers et les références élargissent ma vision.
Encore merci.
Merci Jean-Jacques.
Bravo, belle découverte pour moi qui pratique la photographie depuis près de 40 ans.
Merci Bernard.
Enfin des diapos ! Trop rares et regrettablement mésestimés, sans doute à l’instar de ce que le roman photo était : enfant bâtard issu d’une filiation hybride de la photo et du cinéma.
Je connaissais sa série sur Wuhan Radiography (et Lhasa De Sela, que j’aime beaucoup aussi), mais je découvre des clichés très intenses dans tout son travail que je ne connaissais pas en revanche. Et puis je reste particulièrement sensible à l’argentique (et aux USA). Donc ça me touche d’autant plus.
Je retiens cette jolie phrase sur la spiritualité, pleine de sens mais rarement abordée : “Un peuple (…) qui continue à vivre et aller de l’avant, avec une spiritualité très forte qui nous fait tant défaut ici en Europe”.
C’est vrai qu’à y regarder, la spiritualité semble nous avoir quittés au profit d’un cartésianisme plus froid.
Merci à nouveau Antoine pour ces lectures si agréables, pleine de découvertes et toujours aussi instructives.
Comme toi, je trouve étrange que les diapositives soient si peu utilisées par les photographes.
Merci, Axel, pour le petit mot.
Merci Antoine pour cet article encore une fois très éclairant. Depuis le temps que je lis ton travail, je n’ai jamais été déçu par sa qualité et par l’intérêt qu’il éveille chez moi.
Les travaux photographiques présentés ne me parlent pas tous avec la même force mais il y a toujours une leçon à en tirer, au-delà même du processus créatif. Cet article en est la preuve.
Merci Bruno.
Bonjour Antoine, encore une fois tu nous offres un article de qualité. Je t’en félicite et t’en remercie.
Merci Philippe.