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Photographie de rue

Comment Khalik Allah a contourné les règles de la photo de rue

Khalik Allah s’est émancipé du travail des plus grands photographes de rue pour documenter à sa façon les marginaux et les laissés-pour-compte qui peuplent l’angle de la 125e rue et de l’avenue Lexington à Harlem.

Temps de lecture : 20 min

Introduction : C’est arrivé près d’chez vous

J’ai pas mal d’insomnies depuis quelques années. Pourtant j’ai une vie sereine je ne comprends pas. C’est peut-être le wifi j’en sais rien. Je parle d’insomnie, c’est peut-être pas le bon terme d’ailleurs. Je m’endors comme un bébé mais je me réveille au milieu de la nuit. Quand ça arrive, je me fous un podcast dans les oreilles et je me rendors tant bien que mal.

Au petit matin parfois, dans un moment d’égarement sûrement, je me lève et je vais courir. J’habite à 100 mètres de la gare du Nord à Paris. Je peux vous dire que les chances d’accéder à un parcours sympa sont quasi nulles. Malgré l’heure indue, la rue La Fayette n’est pas déserte. Seuls ses trottoirs le sont. Au milieu de taxis anonymes, je me lance.

La longue rue mène à la place Stalingrad sur laquelle un bâtiment néo-classique, la Rotonde, concentre habituellement tous les regards.

La Rotonde sur la place Stalingrad à une heure normale

La nuit, la beauté est ailleurs.

Dispersées de part et d’autre de la place, une dizaine de silhouettes flottent dans la pénombre. Dès que l’une d’elles se déplace, les autres bougent de la même manière. Comme si les mouvements avaient longuement été répétés. Devant ce ballet de somnambules à ciel ouvert, je m’arrête.

Une des silhouettes me frôle sans moufter. Comme si j’étais transparent. Comme si je rêvais. C’est une jeune femme. Elle a peut-être 30 ans. Sûrement moins. Ses larges fringues kakis et ses piercings lui donnent l’air d’une teufeuse sortie de teknival. Elle est pâle et maigre.

Elle passe devant moi, en hochant sans cesse la tête comme une poule désincarnée. Les yeux rivés au sol, elle s’arrête un instant devant un objet invisible et poursuit son chemin.

Je continue le mien. Près d’un banc vide, un homme vulnérable est allongé sur le sol. Comme s’il dormait. Comme s’il était mort. Il a peut-être 50 ans. Sûrement moins. Il est noir et maigre.

Je quitte la place par le quai de la Seine. Un homme, sans doute un habitant du quartier, se tient là, devant le cinéma MK2. À ses côtés un jeune chien, sans doute le sien. Il a peut-être un an. Sûrement moins. Il est marron et blanc.

C’est arrivé près d’chez vous, presque sous votre nez. À Stalingrad. (Stalincrack, pour ceux qui y vivent, pour ceux qui y meurent.)

La beauté se trouve partout si l’on prend la peine de regarder. Dans le banal et l’ordinaire bien sûr. Dans le monstrueux aussi. Khalik Allah, notre photographe du jour, la trouve dans le coin le plus craignos d’Harlem.

Venez, je vous y amène.

Une nuit à Harlem avec Khalik Allah

Réflexions à domicile, 21 heures

Le 21 novembre 2011, Long Island, État de New York.

Khalik se roulerait bien un joint. Mais il vit chez ses parents, il n’a jamais fumé ici, ce n’est pas ce soir qu’il va commencer. À 26 ans, le pilon c’est surtout pour la décontraction, finies les défonces adolescentes.

Il est un peu anxieux à l’idée de passer la nuit à Harlem. Bientôt il se dira que c’est la suite logique de ce qu’il a entrepris depuis qu’il s’est jeté corps et âme dans la photographie, il y a un peu plus d’un an.

Mine de rien, il en a parcouru du chemin. Sur son iMac par milliers, les photos se sont accumulées. La plupart prises sur le vif, dans le pur style de la photographie de rue. La réussite tient au moment. Une photo exceptionnelle nécessite un truc en plus, une sorte de supplément d’âme.

Une auréole au-dessus d’un policier fait basculer une arrestation en événement surnaturel. Comme si de l’énergie était envoyée par télépathie.

© Khalik Allah

Khalik a sauté le dîner, il préfère photographier le ventre vide. La photographie c’est la tête mais aussi les tripes. Photographier à l’estomac comme il dit, garder l’esprit clair et alerte. Il n’a pas faim de toute façon. Depuis qu’il bosse la nuit, il est complètement décalé, y compris ses jours de repos.

Il travaille à AMC Networks. Vous savez AMC, la chaîne à qui l’on doit les séries Breaking Bad, Mad Men et The Walking Dead. Comme il est fou de cinéma d’art et d’essai, on l’a mis sur d’autres chaînes du groupe : Sundance Channel et IFC (Independent Film Channel).

Il est technicien de maintenance. Il s’assure que les films soient diffusés sans accroc. La plupart du temps, tout se passe bien et il est un simple téléspectateur. Il a ainsi découvert les grands classiques du cinéma indépendant américain. C’est pas si mal.

Sur son iMac toujours, il balaie ses archives. En parlant de supplément d’âme, celle-ci est pas mal. Un enfant sort la tête d’une voiture. La photo émerveille. Ni ambiguïté ni surnaturel. Parfois il ne faut pas chercher d’explication. Certaines choses touchent directement le coeur.

© Khalik Allah

Dans son sac Khalik fourre son Nikon F2. Un boîtier totalement manuel fabriqué dans les années 1970. Beau, fiable et solide. Plus d’un kilo sur la balance lorsqu’est vissé son objectif fétiche, le 55 mm Nikkor 1.2. Il embarque également une douzaine de pellicules noir et blanc llford FP4 ainsi qu’un flash acheté récemment.

Il n’est pas obnubilé par le matériel. Il aime surtout réfléchir à la façon dont il pourrait le détourner de son utilisation attendue. Pour donner un effet différent par exemple. Les outils ne font jamais un photographe, mais en même temps ils le font.

Depuis peu, il a la sensation d’être en mission. Comme s’il était en train de créer quelque chose au-delà de sa propre personne, quelque chose de plus grand que lui. Cela donne confiance, surtout dans la rue, où certaines photos nécessitent un peu de culot.

© Khalik Allah

Il lui faut un peu plus d’une heure pour relier son île de Long Island à la ville de New York. Dans la voiture résonne le hip-hop familier des années 1990, Mobb Deep, Nas et le Wu-Tang Clan.

J’ai concocté une playlist Spotify comme si vous y étiez.

À 22 heures il passe le pont de Williamsburg, arrive dans le quartier de Lower East Side et se gare sur Houston Street. Il chope la ligne A direction le nord de Manhattan. Dans le métro il prend ses marques et s’acclimate à la nuit.

Après avoir emprunté plusieurs fois la ligne dans les deux sens, il se sent prêt et descend à Frederick Douglass. Il s’engouffre sur la 125e rue, la principale artère d’Harlem. Il va être 2h.

Arrivée à Harlem, 2 heures

Les néons des boutiques tels des astres guident ceux qui vivent la nuit. Khalik est parmi eux, dans ce quartier qu’il arpente depuis des mois. Aussi tard, c’est la première fois.

La nuit, tout devient plus approximatif. Certains s’en affolent tandis que d’autres s’en apaisent. De nouvelles créatures apparaissent. Khalik ne reconnait personne. Et si on lui sautait dessus ? Et si on lui volait son matériel ? Et si ?

Bien sûr, Harlem n’est plus le coupe-gorge des années 1980. La gentrification entamée dans les années 1990 s’est largement amplifiée. Le mécanisme est connu. L’arrivée du campus de l’université de Columbia dans l’Ouest d’Harlem précipite l’arrivée de milliers d’étudiants dans les années 2000.

Puis des communautés d’artistes aux faibles revenus et des indépendants de type freelance attirés par les prix bas font leur apparition. Pour divertir ces nouvelles populations, des lieux branchés de type coffee shop poussent comme des champignons.

Encouragés par les politiques publiques, les magasins de vinyles de musique soul sont petit à petit déplacés et remplacés par des H&M et des Starbucks.

D’autres populations plus aisées emboitent le pas. Pas assez riches pour vivre à Manhattan. Pas assez conventionnelles pour s’ennuyer en banlieue. Des gens comme moi qui veulent s’encanailler dans les quartiers populaires.

Des appartements plus luxueux remplacent alors les logements insalubres. La suite on la connait. Gentrification rime avec uniformisation. Dans un futur plus ou moins proche, Harlem ne sera plus un quartier noir. Il ressemblera à East Village, Times Square ou Soho. Et les noirs seront poussés vers le Queen, le Bronx ou ailleurs.

On n’en est pas encore là.

En 2011, l’Est d’Harlem reste farouche. Aux abords de l’avenue Lexington, Khalik se retrouve seul parmi les marginaux et les laissés-pour-compte.

Khalik Allah sous les néons

Son blouson en cuir Avirex en guise d’armure, il se lance. Il aborde plusieurs prostitués qui se laissent photographier sous le regard d’autres plus méfiantes. Il accoste un type en sweat à capuche qui prend la pose contre quelques dollars.

© Khalik Allah

À l’angle de la 125e et de Lex, 3 heures

Au loin, Khalik repère des gars disposés en cercle. Il va être 3 heures. Il s’approche. Que fument-ils ? Du crack ? Nan. Du K2, une nouvelle drogue apparue à New York il y a deux ou trois ans.

© Khalik Allah

Le K2 est un terme fourre-tout pour désigner le cannabis synthétique. Cannabis parce qu’il est censé en reproduire les effets et synthétique parce qu’il n’y a rien de naturel là-dedans.

Il se présente sous la forme de feuilles broyées et imbibées de produits chimiques. Le végétal pour le petit look de marijuana, la chimie pour l’effet, jusqu’à 100 fois plus puissant que le cannabis. Et plus aléatoire aussi.

Comme la composition varie d’un lot à l’autre, le consommateur a une chance sur deux de se transformer en zombie. La drogue s’adresse donc aux fans de loterie mais également aux plus pauvres.

Elle est en effet vendue dans de petits sachets en alu, 5 dollars l’unité. Tout cela est légal et en libre service dans les épiceries ouvertes 24 heures sur 24.

Un reportage du magazine Vice montre l’étendue du fléau : The Dangerous Rise of K2: America’s Cheapest High

Au milieu de la nuit, l’avenue Lexington ressemble à un couloir sombre et étroit. Khalik passe presque inaperçu à côté des fumeurs. En confiance, il prend quelques photos.

Puis, dans un excès d’optimisme, il sort son nouveau flash, le fixe à son Nikon et déclenche. La lumière éclate. Le petit groupe s’évapore. Un homme reste là, terrifié, les mains levées. Khalik prend une photo rapide, puis l’homme s’enfuit. C’est comme ça qu’il rencontre Frenchie, un futur personnage important de sa photographie.

J’y reviendrai.

© Khalik Allah – Frenchie

Khalik rembobine la pellicule, un bruit claque dans l’air. Il a dû surmener l’appareil. S’il ne trouve pas un endroit sombre pour sortir la pellicule, ses précieuses images seront ruinées.

Il saute dans la station de métro la plus proche. Et là, au bord du quai, il envisage de sauter sur les rails et d’entrer dans le tunnel pour profiter de l’obscurité.

Au même moment, une femme de ménage sort de son local technique. Il l’aborde : « Excusez-moi Madame, j’aurais besoin d’un endroit sombre pour sortir la pellicule de l’appareil. Pourrais-je utiliser votre local ? »

Ressentant son désespoir, elle accepte. Il entre en premier : « Pourriez-vous fermer la porte derrière vous s’il vous plaît ? » Un peu de lumière passe tout de même. Il enlève son blouson en cuir et remonte la fermeture éclair. Une fois l’intérieur bien opaque, il y met son appareil et passe ses bras dans les manches.

Il scelle hermétiquement la pellicule avant de remonter les marches du métro.

Retour à la maison, 6 heures

Khalik sillonne l’avenue Lexington toute la nuit. Au petit matin, la molette de son Nikon se bloque. Le film s’est peut-être déchiré à l’intérieur. Faudra qu’il fasse réparer tout ça. Il verra demain. Il n’en a pas fini pour aujourd’hui. Il est exalté !

À 6 heures ouvre Pathmark, le supermarché qui fait l’angle de la 125e rue et de l’avenue Lexington. Khalik achète deux appareils photo jetables.

Le jour se lève. Il fait frais, un peu moins de 10 degrés. Sur les bouches d’aération du métro, les gens survoltés il y a quelques heures, cherchent le sommeil et un peu de chaleur. Un jeune hispanique vend des cigarettes Newport à l’unité. La vie normale reprend.

C’est alors que Frenchie réapparait. Une veste bleue assortie au ciel du matin. De la morve qui coule du nez. Khalik ressent chez cet homme une fragilité mais aussi une certaine forme de grandeur. Il prend une photo rapide.

© Khalik Allah – Frenchie

Khalik est claqué. Il reviendra, c’est certain. Arrivé chez lui, il prépare une nouvelle mixture de produits chimiques. Il développe deux pellicules dans l’évier de la cuisine et se couche, euphorique.

Khalik Allah n’était pas destiné à être photographe

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La bougeotte adolescente

En 1985, les médias qualifient d’épidémie, le déferlement de crack dans les grandes villes américaines, en particulier à New York. C’est dans sa banlieue, à Long Island, que Khalik Allah naît au mois de juillet.

Ses parents portent en eux une certaine idée du rêve américain. Une femme jamaïcaine et un homme iranien se rencontrent à l’université de Bristol au Royaume-Uni. Ils migrent aux États-Unis pour devenir profs et fonder une famille.

Ils auront cinq enfants. Cinq garçons. Être celui du milieu offre à Khalik une charmante perspective. Se faire tabasser et tabasser ses petits frères en retour, sans doute par souci d’égalité. À l’extérieur, le skate, le hip-hop et le graffiti vampirisent son esprit.

© Khalik Allah, 13 ans en 1998

C’est ado que Khalik commence un peu à dérailler. Il sèche les cours pour zoner à New York et fumer de l’herbe avec ses potes. Les bulletins scolaires commencent à clignoter. À la fin de la quatrième, c’est la sanction. Il redouble.

Khalik Allah et la Nation des 5%

Un après-midi, alors qu’il traîne à Harlem avec son frère aîné, il entend un gars déclamer un texte à la manière d’un puissant rap.

Khalik s’approche.

Le gars parle de la place des noirs dans l’Histoire de l’humanité. Il dit que l’éveil des hommes noirs passe par la connaissance. La connaissance du monde mais surtout la connaissance de soi. Par la spiritualité, le développement intellectuel et l’exercice physique.

Khalik vibre.

Les mots frappent une partie de lui jusqu’alors endormie. Derrière le discours se dévoile la Nation des 5%, un mouvement créé dans les années 1960 dont le nom vient de son concept selon lequel seulement 5% du monde connaît la vérité sur l’existence. Et ces 5% se consacrent à éclairer le reste du monde.

Sous ses airs de secte de l’Islam, la Nation des 5% est davantage un mode de vie qu’une organisation religieuse. Elle marque de près ou de loin les ados qui traînent dans les rues de New York. Ses préceptes ont beaucoup influencé le rap des années 1980 et 1990, de Nas au Wu-Tang Clan en passant par Jay-Z.

Khalik est convaincu.

Il s’inscrit dans la foulée à leur programme destiné aux ados en échec. Un nouveau monde s’ouvre alors à lui au travers des livres qu’il récupère au siège de l’organisation à Harlem.

© Supreme Allah – le siège de la Nation des 5% à Harlem

De retour à l’école, il excelle. Il supplie sa mère pour un caméscope. Le jour de ses 14 ans, il reçoit un Canon ES190. Il commence à enregistrer sa vie d’ado, surtout ses amis qui skatent, graffent ou fument de l’herbe.

La vie s’écoule comme ça jusqu’au bac. Désireux de réaliser son premier film, il détourne la bourse de fin de lycée destinée à son entrée à la fac. Avec les 1000 $ il achète une bonne caméra.

En 2005, il réalise à 20 ans The Absorption of Light, un court métrage muet dans lequel un jeune homme à la dérive se révèle grâce à la Nation des 5%. Il ne cherche pas trop loin le scénario, on est d’accord. La BO non plus puisqu’il utilise les titres du Wu-Tang Clan dont les membres fréquentent comme lui la Nation des 5%.

Khalik Allah et le Wu-Tang Clan

Khalik ne les connaît pas plus que ça. Il en croise juste certains au siège de l’organisation. Pourtant, il va s’entêter à leur montrer son film. Une audace à faire frémir Saul Leiter (allez lire mon article).

Il a déjà discuté une fois ou deux avec Killah Priest, un rappeur qui gravite autour du Wu-Tang Clan. Il lui envoie la cassette. Par capillarité, son travail se diffuse jusqu’aux membres fondateurs. Dans la foulée, des proches du groupe lui confient la réalisation de clips, par exemple celui-ci, avec visiblement peu de moyens.

Khalik est validé.

Il traîne avec le groupe et devient proche de Popa Wu, l’un des mentors spirituels du Wu-Tang Clan. De cette rencontre naîtra son premier projet d’envergure sous la forme d’un documentaire mettant en scène son ami.

Les premiers rushs débutent en 2006. Comme tout processus créatif, Khalik ne comprend pas tout ce qu’il est en train de fabriquer. Tellement d’idées qu’il s’y perd. L’autodidacte prend l’eau.

Au bout de deux ans, comme une bouée de sauvetage, il est invité à filmer la tournée solo de GZA (prononcer Djeuzza), l’un des leaders du Wu-Tang Clan. Il abandonne l’université et le suit plusieurs mois. On est en 2008.

© Khalik Allah – Concert de GZA – Photo prise lors d’une tournée ultérieure, au début des années 2010

À son retour à Long Island, il lui faudra encore deux années pour achever le film. Le montage semble interminable. En 2010, Khalik accouche donc de Popa Wu a 5% story (voir le film en VO).

Il en sort lessivé.

Il veut arrêter la réalisation de films.

Vers la photographie

Un jour d’août 2010, GZA lui passe un coup de fil.

GZA : Salut mec, je prends la route demain pour Long Island. On se capte ?

Khalik : Ok mec, j’en suis.

Khalik se dit que ce serait cool de prendre quelques photos. Depuis qu’il le connait, il n’en a jamais prises. Il a seulement produit quelques vidéos lors de la tournée de 2008.

Il va voir son frère aîné.

Khalik : Tu peux me prêter ton reflex numérique steup ? Je te le rends demain.

Le frère : Laisse tomber mec, je prête pas mes affaires !

Il essaie d’argumenter. En vain. Le frangin reste inflexible comme l’acier.

Khalik se souvient que son père prenait souvent des photos de ses frères et lui pendant leur enfance. Il le sonde :

Khalik : Tu as toujours ton vieil appareil photo, papa ?

Le père : Sûrement ! Il doit prendre la poussière dans un placard depuis une bonne dizaine d’années. Je te l’amène.

Le père revient avec un Canon AE1, un reflex argentique entièrement manuel datant du début des années 1980.

Khalik est impressionné par le poids de l’objet et la solidité qui s’en dégage. Il ressent une attirance presque physique. Il passe une bonne partie de la nuit à étudier l’appareil devant des tutos Youtube.

Il est excité par les possibilités qui s’ouvrent à lui. Il déclarera :

« À partir de cette nuit-là, j’ai su que j’allais devenir photographe. »

Interview pour pdn

Lorsqu’il voit GZA, Khalik prend quelques photos. De retour chez lui, il ouvre le dos de l’appareil photo et accidentellement, expose la pellicule à la lumière. Ses images sont fichues.

Il aura l’occasion de se rattraper, comme le montre ce portrait fait deux ans plus tard.

© Khalik Allah – GZA – 2012

Khalik Allah : la naissance d’un style unique

Quelques semaines plus tard, début 2011, la photographie argentique est devenue pour lui une autre façon de faire des films. Plus lente. Plus intuitive. Trente-six prises dans une pellicule pour raconter une histoire, chaque image connectée à la suivante.

Les premières photographies

Le monde de la photographie le fascine.

Les après-midis souvent, Khalik se rend à la bibliothèque publique de New York. Il y dévore les livres des grands photographes de rue, surtout ceux de Henri Cartier-Bresson, Robert Frank, William Klein, Bruce Davidson, Nobuyoshi Araki et Daido Moriyama.

Cliquer sur une des photos pour voir la galerie en plein écran.

Plonger dans leurs livres lui permet d’accéder à leurs images tout en alimentant sa propre démarche photographique. Quitte à les imiter. Les premières images de Khalik sont à ce titre révélatrices.

© Khalik Allah
© Khalik Allah
© Khalik Allah

Les photos en noir et blanc sont prises sur le vif, dans la lignée de ses idoles.

Le photographe a peu d’interactions avec les gens, comme en témoigne le reportage ci-dessous, où l’on suit Khalik dans ses déambulations, dans la pure tradition de la photographie de rue (à partir de 9min09).

Le reportage est passionnant dans son intégralité. On suit Khalik un peu partout : dans la rue, chez le réparateur d’appareils photos, dans sa chambre (c’est en anglais)

Plus tard, il se rendra compte que le processus fait partie de l’apprentissage normal. Pour l’heure, il est frustré que ses photos ne le représentent pas vraiment. Il ressent le besoin d’avoir son propre style.

Une approche différente

Son approche change à deux niveaux.

Changer le rapport avec les gens

L’approche traditionnelle de la photographie de rue a imposé à plusieurs générations de photographes d’agir comme s’ils étaient invisibles.

Pour Khalik, ce n’est pas naturel. Sa personnalité est d’engager avec les personnes qu’il photographie, de les arrêter et de leur parler.

© Khalik Allah

Parfois une phrase suffit, simple et respectueuse. Du genre :

« Excusez-moi mesdames, j’aime ce que vous dégagez, je suis photographe de rue, vous permettez que je fasse votre portrait ? »

Antonyms of Beauty à 10min35

Se fixer à un lieu unique

Un jour sur Youtube, Khalik tombe sur une vidéo de Joel Meyerowitz (allez lire mon article) dans laquelle il explique que dans les années 1960, Garry Winogrand et lui passaient leurs journées sur la 5ème avenue.

Il s’agit peut-être de cette vidéo : Joel Meyerowitz: Life on the street never ceased to amaze me (à partir de 45 secondes).

Khalik se dit qu’il doit lui aussi trouver son spot.

Pour l’instant, il photographie surtout à Lower East Side, un quartier branché de New York. Il y erre parfois des heures sans qu’un sujet intéressant ne pointe le bout de son nez.

Il pense à Harlem qu’il connaît bien. En particulier l’angle de la 125e rue et de l’avenue Lexington.

Une expérience particulière l’amène à choisir ce coin. Un après-midi, il se promène là-bas pour expérimenter une pellicule couleur. Il croise une fumeuse de crack chauve avec autour du cou une tétine reliée à un chapelet.

La cracker l’interpelle : T’as pas un dollar ?

Khalik : Je te file un dollar contre une photo, t’es ok ?

La cracker pose en faisant un doigt d’honneur pendant que Khalik la photographie.

Khalik : Nickel, continue avec ton doigt d’honneur. Tu peux mettre la tétine dans la bouche s’il te plaît ?

© Khalik Allah

Des gars qui ont assisté à la scène rappliquent mécontents. L’un deux, un agent de sûreté de la MTA (la RATP locale) avec un badge au nom de « Mike », prend la parole.

Mike : Mec, on ne veut pas être perçus de cette façon. Pourquoi tu photographies ça ? On ne veut pas montrer ça !

Khalik : Calme-toi mec ! Je m’appelle Khalik Allah. Je suis photographe documentaire, je décris le positif, le négatif et le neutre. Vision à 360 degrés, tu captes ?

Un petit groupe se forme. Des personnes interviennent, certaines défendent Khalik, d’autres non. Pendant ce temps, un libraire regarde la scène de loin, silencieux et attentif.

Khalik s’éloigne en faisant un signe de paix à l’employé de la MTA. Il tourne dans Harlem pendant quelques heures puis revient dans le coin à la tombée de la nuit. Il n’y a plus personne sauf le libraire.

Le libraire : Jeune homme, je pense que ce que vous faîtes est positif. J’aime ce que vous avez dit à propos de la vision à 360 degrés. Continuez à travailler de cette façon avec votre appareil.

Après la nuit du 21 novembre 2011

Nous retrouvons Khalik début 2012. Quelques semaines se sont écoulées depuis sa première nuit marquante à Harlem. Il a développé toutes les pellicules consommées cette nuit-là. Voici une des planches contacts.

© Khalik Allah – Une planche contact de la nuit du 21 novembre 2011

En apparence, rien n’a changé. Ses journées commencent et se terminent à un rythme opposé à celui des autres. Lorsqu’il ne bosse pas, il fonce à l’angle de la 125e rue et de l’avenue Lexington. Comme un addict, la nuit le dévore. Il revendique le coin comme un dealer le ferait. Les caméras de surveillance et lui sont les seuls à enregistrer ce bout de quartier aux airs de capsule temporelle. La gentrification partout sauf ici. La dernière frontière.

© Khalik Allah – Frenchie – Harlem, New York

Des ivrognes, des toxicomanes et des malades mentaux errent là comme dans les années 1980. La raison est banale. C’est ici que le bus de l’immense prison de Rikers Island amènent les détenus libérés, la plupart des sans-abris qui n’ont nulle part où aller.

Au cours de ses nuits blanches, Khalik se lie avec beaucoup de ces paumés. Mais c’est avec Frenchie, rencontré lors de sa première sortie, qu’il noue la relation la plus forte.

Au début, ils n’échangent pas beaucoup de mots. Souvent la conversation se limite à « reste là » ou « achète-moi une bière ». Au fil du temps, Khalik s’interroge sur la nature de leur relation. Une bière ou un sachet de K2 en échange d’une photo, n’est-ce pas une sorte de prostitution ?

© Khalik Allah – Frenchie – Harlem, New York

Tout au long de l’année 2012, les images s’accumulent.

© Khalik Allah – Frenchie – Harlem, New York

L’année suivante, le 7 avril 2013 exactement, Khalik regroupera ses photos noir et blanc prises à l’angle de la 125e rue et de l’avenue Lexington dans un court métrage intitulé Urban Rashomon.

Le début de la vidéo m’a tellement marqué. On suit Khalik qui photographie Frenchie dans une sorte de transe. C’est à la fois dérangeant et fascinant.

Frenchie

Au fil des mois, Khalik en découvre davantage sur Frenchie. À 22 ans il a quitté Haïti pour New York. Rapidement tout s’est chamboulé dans sa tête. Il est diagnostiqué schizophrène. Et aujourd’hui, à plus de 50 ans, il fait des allers-retours entre les hôpitaux psychiatriques et la rue.

Il a deux frères aînés. Parfois, ils passent le prendre en Mercedes et le ramènent chez eux. Ils lui coupent les cheveux, changent ses vêtements et lui donnent un repas chaud.

© Khalik Allah – Frenchie

Puis, après quelques jours, Frenchie s’enfuit et retourne sur la 125e rue. Une amie dit de lui qu’il est plus libre dans la rue. Khalik sait que la vérité est plus complexe.

Pendant un moment, il n’a plus de nouvelles de Frenchie. Un matin, alors qu’il photographie en couleur, il repère une longue silhouette maigre avec un bonnet blanc en laine, confortablement assise contre le mur de briques baigné de soleil.

C’est Frenchie ! Il s’agenouille pour lui parler : « Yo Frenchie, c’est moi, Khalik, lève-toi. Allons nous promener. »

© Khalik Allah – Frenchie

Khalik l’invite à manger dans un endroit appelé Harlem Delight sur la 125e. Frenchie lui raconte ce qu’il lui est arrivé.

Alors qu’il dormait sur une partie étroite du quai du métro, il lui a pris une envie de chier. Il s’est accroupi sur les rails. C’est alors qu’un train est arrivé. Il était si faible qu’il n’a pas pu remonter sur le quai. Le train l’a percuté. Du fait de sa maigreur, le train ne lui a arraché que les fesses (mais lui a quand même cassé le bassin). Sa faible condition physique lui a sauvé la vie.

La discussion se poursuit tandis que Khalik enregistre. Ces enregistrements deviendront une partie du court-métrage Antonyms of Beauty qui sortira l’année suivante, le 19 juillet 2013.

La couleur, la nuit

C’est au printemps 2012 que pour la première fois, Khalik amène des pellicules couleur, la nuit. Dès les premières sorties, il est impressionné par le rendu de la Kodak Portra 160 ISO dont la très basse sensibilité la destine à la photographie de jour.

La pellicule doit lutter avec le peu de lumière disponible. Khalik sous-expose et ouvre au maximum le diaphragme de son objectif. Il en résulte un fort contraste et une profondeur de champ réduite.

© Khalik Allah

Au fil des semaines, les lumières du coin deviennent ses meilleures amies. Il apprend à les maîtriser. Il adore la pizzeria dont les grandes fenêtres laissent passer une lumière jaune. À tel point qu’il remarque dès qu’une ampoule est enlevée ou lorsque des boîtes de pizza bloquent la lumière.

© Khalik Allah – Fillette – 14 juillet 2014

Il se tient prêt dès qu’une ambulance ou une voiture de police passe, scrutant l’effet que les gyrophares produisent sur les peaux. La lumière devient parfois surréaliste avec ces visages inondés de bleu et de rouge.

© Khalik Allah – Saphire

Les premiers portraits fascinent par leur rendu unique mais aussi en raison de l’intimité que Khalik obtient. Il connaît tout le monde, même les flics le saluent.

© Khalik Allah

Il se balade toujours avec un album de petits tirages 10 x 15 cm des gens qu’il a photographiés. C’est l’une des méthodes qu’il utilise pour créer un lien avec la communauté. La technique vient de l’une de ses idoles, Bruce Davidson.

Sa capacité à établir des relations est impressionnante, comme le montre ce reportage. Cela n’a plus rien à voir avec ses débuts.

Il échange beaucoup avec les personnes pendant qu’elles posent. Des discussions métaphysiques, sur le destin, la vie, la mort.

© Khalik Allah – Frenchie

De 2012 à 2016, il accumule des centaines de portraits à la fois bruts et honnêtes. Le livre Souls Against the Concrete (les âmes contre le béton) en compile une partie. Il sort en octobre 2017.

En voici une large sélection :

Cliquer sur une des photos pour voir la galerie en plein écran.

Conclusion

Certains verront dans cet exercice, une esthétisation de la misère, une sorte de porno de la pauvreté. D’autres, un cri de ralliement.

J’y vois des portraits fascinants qui rendent beaux et dignes des gens dans une profonde détresse.

J’y vois la faculté incroyable d’un photographe à intégrer une communauté.

J’y vois des images à la fois poétiques et politiques d’un endroit en cours de transformation, de disparition.

Aux dernières nouvelles, tout va bien pour Khalik Allah. Il est devenu membre de l’agence Magnum en juin 2020. Il fait des films. Il photographie toujours l’angle de la 125e rue et de l’avenue Lexington.

© Khalik Allah – 2019

Frenchie est toujours vivant. Au moment où vous lisez ces lignes, il est probable que son rire résonne dans une rue d’Harlem Est.

Merci de m’avoir lu jusqu’au bout. Si l’article vous a plu, laissez-moi un petit mot, cela fait toujours plaisir.

Livre de Khalik Allah

Si vous souhaitez acheter le livre, vous pouvez cliquer sur la couverture, c’est un lien affilié : ça ne vous coûte pas plus cher, Amazon gagne un peu moins et moi un petit peu.

Aller plus loin

  • Je conseille la préface de Souls Against the Concrete (en anglais), je m’en suis largement inspiré pour écrire l’article.
  • Je vous recommande également la série de podcasts intitulée Crackopolis d’Arte radio, disponible sur toutes les plateformes, comme on dit. Le narrateur s’appelle Charles, un fumeur de crack âgé de 30 ans. Il nous raconte sa vie à Crackopolis, entre Stalingrad et la porte de la Chapelle, à Paris. (J’ai tout écouté d’une traite.)

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106 réponses sur « Comment Khalik Allah a contourné les règles de la photo de rue »

En fait ses photos ne sont que le reflet de l’âme. Belle rencontre et quel talent et sensibilité, en plus du courage d’aller jusqu’au bout. Merci pour cet article passionnant.

Je découvre la qualité de vos articles au hasard d’une annonce sur Instagram qu’un de mes fils a créé pour notre vieux collectif. Votre écriture est belle, incisive et se met magnifiquement au service des photographes.

Stalincrack je connais bien, j’ai perdu en 1999 un ami Charles Thomas, poignardé alors qu’il photographiait depuis des années au même endroit avec une boîte sur la tête les gens du quartier. Recouvert jusqu’au buste d’une boîte en carton blanche au devant de laquelle il avait mis un écran de filtre gris afin de photographier le passage incessant des populations du quartier. Le même angle de rue dégagée, à gauche la Rotonde, à droite la station Stalingrad et face à lui le métro aérien.

Je cherche à honorer son travail. J’ai entrepris un gros effort d’éditing sur des centaines de négatifs. Sur l’instagram collectif.chambre5, je montre ses photos parmi les nôtres (il faut descendre car j’ai commencé par lui à la création du compte en décembre 2022).

Venez nous voir pendant que j’épluche un à un vos passionnants articles.

Merci Vincent pour le compliment. Et bravo pour votre travail et le partage de celui de votre ami Charles Thomas.

Je me suis permis d’ajouter le lien du compte instagram directement dans votre message pour que les lecteurs y aient accès plus facilement.

J’aimais déjà l’Amérique.
J’aimais déjà la photographie.
J’ai toujours aimé Paris.
J’ai envie de retourner à New-York.

Tu sais écrire, donner une vie à tes textes. J’ai lu sans répit, d’une traite. Tu m’as fait voyager, là où je me sens si bien, moi qui suis si loin. MERCI.

Je n’ai plus qu’à scroller et visionner tranquillement les vidéos maintenant.

Sacrée découverte, Khalik Allah.

Et super bande-son !

Merci Antoine.

Antoine, merci.

Tu m’as fait découvrir les formidables portraits, en couleur, sous-exposés, de Khalik Allah.

Des portraits esthétisants, oui, mais pour la bonne cause.

Sorry, je réponds souvent tard. Je lis tes publications, cela reste dans un coin de ma tête avant de réagir.

PS: Voici d’autres étonnants portraits, réalisés sur un autre champ de bataille avec la technique du collodion humide!

Mais peut-être les connais-tu!?

Je ne connaissais pas Edward Kaprov. Le photographe israélien dont il est question dans le documentaire d’Arte.

Merci Joelle.

Très belle découverte de ce photographe que je ne connaissais pas, merci Antoine pour ce partage.

Khalik documente New York d’une nouvelle manière, moderne et actuelle, qui fait comme une mise à jour des photos d’autres photographes de rue de New York qu’on connaît déjà très bien.

Ma photo préférée, c’est la fillette avec les perles violettes dans ces cheveux, elle est magnifique.

À bientôt.

C’est vrai que la fillette avec les perles violettes dans les cheveux dégage beaucoup d’humanité.

Merci Antoine.

J’avais vu les tirages de Khalik Allah à Paris Photo il y a quelques années. Ils m’avaient fasciné notamment les couleurs. J’en sais désormais beaucoup plus sur sa démarche et son travail.

Super article, détaillé et très immersif.

Les tirages valent le coup d’oeil, je confirme. (Je les ai vus en octobre 2021 à la Galerie Magnum à Paris).

Merci Guilhem.

Top, une véritable immersion dans le Harlem des années 1990 à 2000.

Des portraits fascinants et dérangeants a la fois… mais empreints d’humanité.

Merci pour la découverte.

Une nouvelle découverte qui m’a transporté dans les rues de Harlem et m’a rappelé des souvenirs de mon trip à New York en 2000.

Amateur de photo de rue, j’ai pu apprendre de nouvelles techniques, astuces, moyens de rassurer aussi les personnes que nous captons en action ou pas.

Le travail de Khalil Allah – que je ne connaissais pas – est une belle découverte que je vais suivre et continuer à découvrir.

Un immense merci Antoine pour ce nouvel article toujours aussi enrichissant et passionnant pour les amoureux de photos que nous sommes.

Le parcours et le travail de Khalik Allah m’ont aussi beaucoup marqué.

Merci Cyril pour les éloges !

Bravo pour cet article très complet et très documenté, comme à l’habitude.

Belle découverte de ce photographe au parcours un peu bizarre mais qui est une ode à la vie et la photo.

Merci de cette découverte.

J’avais à peine entamé la lecture de ton article que je me suis retrouvée aspirée, catapultée sans transition, de l’ambiance d’un Paris nocturne qui s’éveille et que je connais bien, à celle d’un Harlem dans les années 1990… Waouh quel voyage!

En te lisant, on a complètement la sensation d’être là, au milieu de ceux qui l’ont arpenté et hanté, et que celui qui raconte les a réellement connus.

Un style d’écriture captivant et même passionnant, et un excellent travail de documentation qui m’a permis d’apprendre un tas de choses, sur le rap, les drogues, la politique… J’aime beaucoup cette façon que tu as de contextualiser ton récit, et l’idée des playlists est vraiment un plus qui fait qu’on est complètement dedans, au coeur de l’histoire.

Je ne connaissais pas Khalik Allah mais maintenant, grâce à toi, j’ai le sentiment de l’avoir rencontré.

Merci pour la découverte et pour cette approche unique et intimiste qui fait ton talent.

Hello Antoine,

J’ai découvert ton blog aujourd’hui, et je viens de m’attarder à la lecture de ton article, particulièrement fouillé et vivant (pas de flagornerie, j’attends de lire la préface dont tu t’es inspiré pour m’en faire une idée la plus juste possible).

Ceci étant, tu viens de me faire découvrir un photographe et un parcours que je ne connaissais pas, et surtout, l’article me permet immédiatement de le relier – sans jugement de valeur – à d’autres qui sont des références pour moi. Ceux que tu cites (Davidson entre autres), d’autres qui n’apparaissent pas, comme Helen Levitt ou Arlene Gottfried, à différents degrés d’implication et d’esthétisation.

J’ai parcouru les commentaires aussi, et je me joins aux plus élogieux. En musique, parce que peu de rédacteurs ont cette idée d’associer ainsi la musique à l’image.

Beau travail !

Salut Jean,

Je voulais d’abord te remercier pour les compliments ! Et je suis content de t’avoir fait découvrir le très inspirant Khalik Allah !

PS : Grâce à toi, je viens de découvrir le travail de Arlene Gottfried, merci !

J’ai récemment découvert certains de ses tirages à l’agence Magnum à Paris et ce fut un vrai choc : les personnes, les couleurs, la technique utilisée.

Il me fallait rapidement en savoir plus sur ce photographe. Voilà chose faite et de (très) belle manière, merci.

Ce jour-là un autre choc eut lieu au même endroit : la rencontre avec Matt Black et son ouvrage American Geography. Mais c’est une autre histoire…

Merci pour cette belle découverte. Tu as raison, ses portraits sont fascinants.
C’est toujours un réel plaisir de te lire. J’adore en savoir plus sur des photographes et leurs chemins parcourus. Belle continuation à toi !

J’ai adoré.

Déjà le mail d’introduction 😉

J’aime énormément ta façon d’écrire ton reportage, c’est varié et vivant.

Je ne connaissais pas du tout ce photographe. Je n’en avais même jamais entendu parlé, et j’ai trouvé ça (ton travail et le sien) fascinant.

Je ne vais pas chercher de comparaison entre Davidson, Jeffries, Allah ou d’autres. Si un photographe me plait, j’apprécie son job et voilà.

Tu m’as transporté le temps d’un reportage et de quelques vidéos (dont je dois encore visionner une bonne partie).

Merci. Petit + pour la bande son.

La bande-son permet d’entrer davantage dans l’univers du photographe.
Merci Alain.

« C’est à la fois dérangeant et fascinant. »

Ces mots d’Antoine à propos de la vidéo dans laquelle on voit Khalik Allah photographier Frenchie résume bien l’impression que certains lecteurs ont après avoir lu cet article (d’après les commentaires que je viens de voir, mais aussi d’après ce que je ressens moi-même).

Fascinant parce que Khalik Allah a un style très particulier, une démarche singulière aussi, et il nous montre un monde auquel on n’aurait pas accès sans lui.

Mais dérangeant aussi parce qu’inévitablement on s’interroge sur ce qui le motive. Est-ce de la « poverty porn« , comme on le craint aux USA de nos jours? Mais si tel est le cas, cela voudrait dire que Dorothea Lange et tous les autres photographes de la FSA faisaient de la « poverty porn »?

Il ne faut pas tirer sur le facteur (« Don’t shoot the messenger!« ) lorsqu’on est gêné par le message qu’il cherche à nous transmettre. Donc admirons le travail de Khalik Allah, et remercions-le de nous montrer la vie de Frenchie et de nous expliquer comment il en est arrivé là.

Et espérons que Khalik Allah pourra étendre son répertoire géographique, social et son langage visuel, car le monde ne se limite pas au coin de Lex et 125ème…

Espérons aussi qu’Antoine va continuer son travail exceptionnel de décorticage rigoureux, presque scientifique, de ces photographes au regard unique. Même quand on croit bien les connaître, grâce à Antoine on en découvre d’autres aspects, on les voit sous un autre angle, on les aime peut-être plus ou peut-être moins, mais qu’importe car ce qui compte c’est qu’on comprend mieux leur démarche.

Grâce à lui, on a l’impression d’avoir mis nos Nike un soir d’été à Harlem et on est crevé au petit matin quand on rentre à l’hotel les poches de la parka pleine de pellicules… Crevé mais euphorique.

Un photographe qui intègre à la fois une approche documentaire et un sens de l’esthétique sera toujours taxé de poverty porn par certains.

C’est inévitable.

Très juste ton commentaire, Victor.

Merci.

Je te remercie Antoine de m’avoir permis cette belle découverte ! De plus, ton écriture est très juste et bien documentée. Pur pleasure!

Encore une fois bel article qui donne envie d’aller voir un peu plus le travail du photographe. Je connaissais Khalik Allah avec son livre mais je n’étais pas allé plus loin.

Pour répondre à certains, je trouve que Magnum a bien raison d’intégrer un photographe comme Khalik. Son écriture peut être dérangeante mais elle a le mérite d’être singulière, touchante et hors « conventionnelle »…

Merci Loïc.
Je trouve aussi que Khalik Allah colle bien à Magnum. Il a à la fois une approche documentaire et une intention artistique.

Vos articles sont très agréables à lire et bien documentés, je vous remercie pour votre travail.

Mais mettre en parallèle Khalik Allah et Bruce Davidson, il ne faut pas exagérer. Je ne comprends pas comment ce photographe a pu intégrer Magnum. Enfin si j’ai une petite idée.

Photographier des camés sur le trottoir comme il le fait, c’est vraiment du gâchis. Sur le même sujet, il suffit de voir les photos de Davidson, mais aussi de Eugene Richards par exemple, pour comprendre toute l’implication personnelle que demande un tel sujet, pour que les photos servent le sujet.

Tout simplement qu’elles apportent une information avec un point de vue et un style personnel. Les photos de Khalik Allah n’ont rien de tout ça malgré sa connivence avec ce milieu.

J’espère que ce commentaire ouvrira un débat…

Je trouve qu’il y a pas mal de similitudes entre les travaux de Khalik Allah et Bruce Davidson.

Tous les deux ont réussi à saisir l’atmosphère d’Harlem. D’abord, Bruce Davidson celle de la fin des années 1960 lorsqu’il a photographié la pauvreté du quartier dans son livre East 100th Street. Si vous y jetez un oeil, vous verrez que les images marquent par leur force esthétique et leur portée historique.

Cinquante ans plus tard, Khalik prend aussi le pouls d’un certain Harlem. Celui de Bruce Davidson n’existe plus, celui de Khalik Allah est en cours de disparition.

Et lorsque vous écrivez que Khalik Allah n’apporte pas un style personnel, c’est un peu injuste. C’est justement le style unique de ses images qui marque en premier.

Bruce Davidson a influencé plusieurs générations de photographes, peut-être que Khalik Allah marquera beaucoup de futurs photographes.

Qui sait ?

Ce qui rapproche Bruce Davidson de Khalik Allah c’est le sujet, mais la façon de l’aborder me parait très différente.

Pour photographier la 100eme rue, Davidson loue un appartement pour être au plus près des habitants. Ainsi il peut documenter « au plus juste » son sujet.

Il en fait de même pour son reportage sur un « gang » de jeunes new-yorkais. Il est immergé avec ses sujets et nous emmène avec lui.

Khalik Allah, d’après ce que j’ai vu, connait parfaitement les laissés-pour-compte d’Harlem, il bouge comme eux et parle comme eux. Mais il n’en livre qu’une galerie de portraits un peu distants.

Des visages aussi torturés soient-ils, ne révèlent pas grand-chose de leur condition de vie ainsi que du point de vue du photographe sur le sujet.

C’est en cela que je trouve le travail d’Allah très en deçà en termes d’implication et d’information.

Mais je dois sûrement passer à côté de quelque chose.

C’est quoi documenter au plus juste ?

Khalik Allah est différent de Bruce Davidson. Lorsque tu dis, il « bouge comme eux » et il « parle comme eux« , tu sous-entends : il est noir, bercé par le hip-hop et éduqué par la Nation des 5%. Sa culture est moins éloignée des « laissés-pour-compte d’Harlem » que celle de Bruce Davidson c’est certain. Du coup, ce rapprochement culturel lui permet de créer une intimité que l’on ressent dans ses photos prises de très près (selon moi).

Bruce Davidson a plus de distance. Ce n’est pas moins bien, c’est juste différent. Peut-être plus documentaire en effet…

De toute façon, aucun photographe n’est parfaitement objectif. Chaque photographe a sa propre personnalité, son histoire, son éducation, sa culture qui transparaissent dans le rapport aux autres et dans les images produites.

Dès lors, il est largement concevable qu’une personne, à la fois photographe et ancien fumeur de crack, porterait un autre regard. Sans doute son ancienne addiction lui permettrait une toute autre proximité.

Et les images seraient différentes…

Tes articles sont très intéressants à lire et en plus bien documentés.

Mais j’ai une question plus générale, le travail de Khalik Allah, tout comme celui de Gregory Halpern, me paraissent très en deçà de bien des travaux réalisés par certains photographes de Magnum (mais aussi d’autres agences).

C’est un avis personnel bien sûr, mais je me demande pourquoi Magnum les a intégrés à la coopérative.

Encore un magnifique article, Antoine.

Tu es un auteur protéiforme. Ton style s’adapte, épouse même, l’âme du photographe que tu nous présentes. Tu nous emmènes à l’intérieur de lui, directement dans ses tripes. On traîne nos baskets avec toi, avec lui, à l’angle de la 125e et de Lexington Avenue à traquer l’original, le banal, la joie, le désespoir…l’humanité, quoi.

Beau voyage que tu nous offres. Merci.

Je suis énormément touché par ton message.
Merci beaucoup Francine.

Merci pour cette rétrospective de Khalik Allah. C’est une jolie découverte, superbement menée (comme toujours).

Le parcours du photographe est aussi passionnant que les photos présentées dans la 2ème partie.

La reprise de Wendy Renée dans la playlist complète ce joli récit.

Je te remercie. Et je te rejoins, Tearz du Wu-Tang Clan est très cool !

Merci Antoine pour cet extrait de vie. La photo n’est pas seulement révélée mais elle nous révèle un monde auquel nous n’avons pas directement accès, toujours avec une humanité sincère, touchante et qui nous percute.

Passionnant comme à chaque fois. Les portraits de Khalik Allah m’ont véritablement impressionnée.

Et votre récit sur son parcours hors norme est, encore une fois, très instructif.

Merci Antoine de me faire découvrir Khalik à travers un article très bien écrit, documenté et vivant (super idée que de proposer une playlist spécifique d’ailleurs).

Bravo !

J’écoute une playlist relative au photographe pendant que j’écris. Pour m’immerger dans son univers.
Je me dis que c’est pareil pour la lecture.
Merci Renaud!

Super article et super vidéos également. Il m’est arrivé de ne pas prendre de photo d’une personne en détresse dans la rue, par exemple lorsque cette personne mendiait.

Parfois, je l’ai fait mais j’en ai ressenti de la honte et je n’ai pas souhaité les montrer. La raison réside dans le manque de contact avec la personne, ce qui enlève toute légitimité (du moins à mes yeux).

Établir le contact, s’approcher des gens, en particulier ceux qui sont très différents ou en situation de détresse, demande une approche complètement différente.

Je suis admiratif à la fois de l’approche et des photos de Khalik Allah. Et félicitations également pour ton article, qui est «à la bonne distance».

Et p*****, j’ai l’impression que ce n’était pas le jour pour faire des économies tant ce livre me tente bien…

Je suis d’accord avec toi. La photo prise à la volée d’une personne vulnérable dans une position dévalorisante ne transmet rien d’autre que sa détresse.
Et merci pour le petit mot, Pierre !

PS 1 : désolé pour la dépense.
PS 2 : tu ne le regretteras pas.

Article super intéressant comme toujours. J’étais contente de découvrir ce photographe au travail passionnant.

Magnifique article, détaillé et jamais dans le jugement.

Se lit comme un roman, c’est beau et humain. Bravo Antoine.

Superbe article, comme d’habitude.

C’est vraiment du bon boulot. On apprend plein de choses sur d’excellents photographes, et ce n’est jamais lassant à lire.

Merci à vous.

Superbe article ! Très fourni. Passionnant.

La playlist…comme si on y était. Parfait.

Une vraie immersion dans l’univers de ce photographe.

Je vais acheter ce livre de ce pas.

Merci pour cette découverte.

Dis moi ce que t’auras pensé du livre ! (j’espère que tu l’aimeras autant que moi).
Et je suis ravi de t’avoir fait découvrir Khalik Allah.

Merci beaucoup Antoine pour cet article très instructif.

Je ne connaissais pas ce photographe. Sa démarche m’interroge sur ma propre pratique photographique et votre blog est une vraie mine d’or.

Ravi que le blog te soit utile !
Et merci Fabrice pour les compliments.

Remarquable reportage sur ce photographe qui m’était inconnu. Quel talent ! Bravo pour cet article très fourni.

Excellent article, bien documenté. Très bon travail. J’ai hâte de lire le prochain. À très bientôt.

J’adore toujours le contenu de vos articles richement documentés.

Merci de me faire découvrir autre chose que la photo minimaliste et contemplative.

À vous lire prochainement, belle journée.

Je ne connaissais pas cet artiste. L’article tombe en même temps que je re-visionne la série The Wire.

Les metteurs en scène pourraient s’être inspirés de lui. Bien que la rue se suffise à elle même.

Merci beaucoup !

The Wire = meilleure série de tous les temps pour moi!
Elle date du début des années 2000, Khalik Allah était au lycée 😉
Mais c’est vrai qu’il y a un parallèle entre les deux.

Merci ! Et oui, je suis d’accord, avec la bande son c’est encore plus immersif.

Un grand bravo pour ce travail de passionné.

La lecture est enthousiasmante et pour ma part hautement enrichissante.

Merci.

Merci ! Khalik Allah est dans la lignée de Bruce Davidson.

D’ailleurs, Magnum Photos ouvre une nouvelle galerie à Paris (au 68, rue Léon Frot, dans le 11e arrondissement). Et l’exposition inaugurale, en octobre prochain, présentera les tirages de Bruce Davidson et Khalik Allah.

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